Inde : La Grève générale la plus importante de l’Histoire

Source : Consortium News, Vijay Prashad
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Dec. 16, 2020
photo: IndustriALL Global Union, Flickr, CC BY-NC-ND 2.0

Si ceux qui ont fait grève le 26 novembre formaient un pays, ça serait le cinquième pays le plus peuplé au monde après la Chine, l’Inde, les Etats-Unis et l’Indonésie, écrit Vikay Prashad.

Des fermiers et des agriculteurs du nord de l’Inde ont défilé sur de nombreuses autoroutes nationales en direction de la capitale Indienne New Delhi dans le cadre de la grève générale le 26 novembre.

Ils portaient des panneaux arborant des slogans contre les lois anti-agriculture et pro-entreprises adoptées par le Lok Sabha Indien [chambre basse, équivalent de l’Assemblée Nationale française, NdT] en septembre, et passées au Rajya Sabha [chambre haute, Conseil des Etats, NdT] par un simple vote.

Les agriculteurs et fermiers grévistes exhibaient des drapeau indiquant leur affiliation à un panel d’organismes, depuis le mouvement communiste jusqu’à un large front d’organisations d’agriculteurs. Ils ont protesté contre la privatisation de l’agriculture, qui dégraderait la souveraineté alimentaire de l’Inde et éroderait leur capacité à rester agriculteurs.

Environ deux tiers de la main d’oeuvre indienne tire ses revenus de l’agriculture, qui contribue environ à 18 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Inde. Les trois projets de loi passés en septembre portent atteinte au programme d’achat par le gouvernement au prix de soutien minimum, mettant 85 pour cent des fermiers possédant moins de 2 hectares de terres à la merci des grossistes en situation de monopole, et menant à la destruction d’un système qui a jusqu’alors maintenu sa production agricole malgré les variations erratiques des prix des denrées alimentaires.

Cent cinquante organisations agricoles différentes se sont rassemblées pour leur marche sur New Delhi. Ils parlent d’occuper la ville jusqu’à nouvel ordre.

Environ 250 millions de personnes de tout le pays ont rejoint le mouvement, en faisant la plus grande grève de toute l’Histoire. Si les grévistes formaient un pays, il serait le cinquième plus peuplé du monde après la Chine, l’Inde, les Etats-Unis et l’Indonésie. Des zones industrielles dans toute l’Inde – de Telangana à Uttar Pradesh – ont cessé toute activité, les travailleurs des ports de Jawaharlal Nehru (Maharashtra) à celui de Paradip (Odisha) ont arrêté de travailler.

Les ouvriers du charbon, minerai de fer et métal ont déposé leurs outils, alors que les trains et bus restaient à l’arrêt. Les travailleurs des secteurs informels ont rejoint le mouvement, suivis par les professionnels de santé et les employés de banque. Ils ont fait grève en opposition à la loi ouvrière qui étend le temps de travail quotidien à 12 heures et réduit les avantages de la population ouvrière de 70 %. Tapan Sen, le secrétaire général du Centre des syndicats indiens, a déclaré : « La grève d’aujourd’hui n’est qu’un début. D’autres luttes intenses vont suivre. »

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La pandémie a aggravé la crise dans les classes ouvrière et paysanne, incluant les plus riches exploitants. En dépit des dangers de la pandémie, poussés par un profond sentiment de désespoir, ouvriers et paysans se sont rassemblés dans les espaces publics pour témoigner de leur perte de confiance en leur gouvernement. L’acteur Deep Sindhu a rejoint la protestation, où il a dit à un officier de police : « Ye inquilab hai. C’est une révolution. Si vous prenez les terres des fermiers, qu’est-ce qu’il leur reste? Que des dettes. »

Le long des frontières de New Delhi, le gouvernement a mis en place des forces de police, barricadé les autoroutes et préparé un affrontement à grande échelle. Alors que les longues colonnes de fermiers et d’ouvriers agricoles s’approchaient des barricades et faisaient appel à leurs frères qui avaient mis de côté les vêtements des fermiers et revêtu des uniformes de police, les autorités ont utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau contre les fermiers et les ouvriers agricoles.

Le jour de la grève générale des fermiers et ouvriers, le 26 novembre, est également le Jour de la Constitution en Inde, marquant un grand acte de souveraineté politique. L’article 19 de la Constitution Indienne (1950) stipule clairement que les citoyens indiens ont le droit à « la liberté d’expression et de parole » (1.a), le droit de « se rassembler pacifiquement et sans armes » (1.b), le droit de « constituer des associations et des syndicats » (1.c), et le droit de « se déplacer librement à travers le territoire d’Inde » (1.d).

Au cas où ces articles de la Constitution auraient pu être oubliés, la Cour suprême indienne a rappelé à la police dans une affaire judiciaire de 2012 (l’incident de Ramlila Maidan vs. le Ministre d’Etat) que « les citoyens ont un droit fondamental de se rassembler et de protester pacifiquement, qui ne peut être retiré par une décision arbitraire du législatif ou de l’exécutif. »

Les barricades de la police, l’utilisation de gaz lacrymogène et l’utilisation de canons à eau – mélangée avec l’invention israélienne de levures chimiques destinées à induire un réflexe vomitif – violent la lettre de la Constitution, ce que les fermiers ont crié aux forces de l’ordre à chacune de ces confrontations. En dépit du froid intense au nord de l’Inde, les policiers ont aspergé les paysans avec de l’eau et des gaz lacrymogènes.

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Mais il en faillait plus pour les arrêter. Alors que de courageux jeunes gens sautaient sur les canons à eau et fermaient les vannes, les fermiers ont conduit leurs tracteurs sur les barricades pour les démanteler, la classe ouvrière et les paysans se battus contre la lutte des classes qui leur est imposée par le gouvernement.

Les 12 points de la charte des doléances mise en avant par les syndicats professionnels, ayant capté les sentiments du peuple. Les demandes incluent un retrait total de la loi anti-ouvrière, anti-fermiers votées par le gouvernement en septembre, l’annulation de la privatisation d’entreprises publiques majeures, et une aide immédiate de la population qui souffre des difficultés financières provoquées par la crise du coronavirus ainsi que des années de politiques néolibérales.

Ce sont des demandes simples, humaines et vraies ; seul les coeurs les plus durs les refusent, n’offrant pour réponse que les canons à eau et les gaz lacrymogènes.

Ces demandes d’aide immédiate, de protection sociale pour les ouvriers et de subventions agricoles s’applique aux ouvriers et paysans du monde entier. Ce sont des revendications comme celles qui ont provoqué les protestations récentes au Guatemala et celles qui ont mené à la grève générale du 26 novembre en Grèce.

Nous entrons dans une période de cette pandémie où des troubles sont probables, de plus en plus de personnes dans les pays dirigés par des gouvernements bourgeois en ont de plus en plus assez du comportement odieux de leurs élites. Les rapports montrent les uns après les autres que les fractures sociales se font plus extrêmes, une tendance qui date de bien avant la pandémie mais s’est aggravée en conséquence.

Il est tout à fait naturel que les fermiers et agriculteurs s’agitent. Une nouveau rapport du Land Inequality Initiative (Initiative sur l’Inégalité des terres) montre que seulement 1 pour cent des fermes du monde exploitent plus de 70 pour cent des terres agricoles mondiales, signifiant que les grandes exploitations agricoles dominent le marché alimentaire des entreprises et mettent en danger la survie de 2.5 milliards d’individus qui dépendent de l’agriculture pour leur subsistance.

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L’inégalité de la répartition des terres, en considérant ceux qui ne possèdent pas de terre et la valeur des terres, est la plus haute en Amérique Latine, Asie du Sud et certaines régions d’Afrique (avec l’exception notable de la Chine et du Vietnam, qui ont « les niveaux d’inégalité les plus bas »).

Pasha trouve ses marques dans le mouvement socialiste, rapporte chez lui des livres révolutionnaires, et lentement, lui et sa mère se radicalisent. Quand Nilovna le questionne sur l’idée de solidarité, Pasha répond : « Le monde est à nous ! Le monde est aux travailleurs ! Pour nous, il n’y a ni nation ni race. Pour nous, il y a seulement des camarades et des ennemis. »

Cette idée de solidarité et de socialisme, dit Pasha, « nous réchauffe comme le soleil ; c’est le deuxième soleil au paradis de la la justice, et ce paradis réside dans le coeur du travailleur. » Ensemble, Pasha et Nilovna deviennent des révolutionnaires. Bertolt Brecht a raonté cette histoire dans sa pièce Mother (1932).

Avtar Singh Sandhu a été tant inspiré par le roman et la pièce qu’il a pris le nom de « Pash » comme takhallus, son nom d’auteur. Pash est devenu un des poètes les plus révolutionnaires de son temps, assassiné en 1988 par des terroristes. Je suis herbe fait partie des poème qu’il a laissé derrière lui :

Si tu le souhaites, jette ta bombe sur l’université.

Réduis son campus à un tas de ruines

Jette ton phosphore blanc sur nos taudis

Que vas-tu me faire ?

Je suis herbe. Je pousse partout.

C’est ce que les fermiers et les ouvriers en Inde disent à leurs élites, et c’est ce que les travailleurs disent aux élites de leur propre pays, des élites dont le souci – même en temps de pandémie – est de protéger leur pouvoir, leurs propriétés et leurs privilèges. Mais nous sommes herbe. Nous poussons partout.

Vijay Prashad, historien indien, journaliste et chroniqueur, est le directeur exécutif de Tricontinental : Institute for Social Research [Institut de recherche sociale, NdT] et rédacteur en chef de Left Word Books.

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