Tribune: répression des gilets jaunes, les libertés publiques en danger

La France connaît une crise sociale à l’occasion de laquelle le pouvoir exécutif vient de déclencher une répression policière et judiciaire d’une violence jamais vue depuis la fin de la guerre d’Algérie. Au point que l’opinion internationale commence à s’émouvoir en constatant à quel point le gouvernement français actuel est prêt à renoncer à tous les principes qui caractérisent une démocratie. À cette occasion une partie de la magistrature française renouant avec de mauvaises habitudes a accepté de jouer le rôle du garde-chiourme du parti de l’ordre, oubliant que l’appareil judiciaire n’est pas là pour rétablir l’ordre, mais pour rendre la justice. Ce constat est absolument désolant.

Des avocats courageux dans des conditions difficiles démontrent par leur engagement qu’ils ont choisi ce métier pour défendre des hommes mais aussi des principes. Et ils nous rappellent que l’État de droit n’est pas à géométrie variable.

Un certain nombre d’entre eux vient de publier un appel à l’opinion publique. Dont on trouvera les termes ci-dessous. Merci à eux.

Régis de Castelnau

PS: les confrères qui souhaitent s’associer à cette tribune peuvent s’adresser au site par l’intermédiaire de l’e-mail de contact : vududroit@gmail.com

« Notre pays traverse une période de contestation inédite sous la Vème République depuis le 17 novembre 2018.

De manière tout aussi inédite les juridictions, principalement pénales, sont particulièrement sollicitées afin de statuer, dans des conditions parfois discutables, sur la culpabilité ou l’innocence de justiciables qui, pour un grand nombre d’entre eux, n’ont jamais eu à connaître les instances judiciaires pénales ni même les services de police et d’enquête. Les gardes à vue sont légion et ont lieu dans des conditions qui inquiètent nombre d’avocats, auxiliaires de justice mais aussi défenseurs des libertés publiques et individuelles. Par la présente tribune, nous, avocats signataires entendons alerter quant au danger que constituent ces procédures faites, souvent, dans l’urgence et visant principalement à gonfler, souvent de manière artificielle, des chiffres qui seront annoncés par le Ministère de l’Intérieur. En amont de toute poursuite, et sans décision judiciaire, nous avons pu constater la violation délibérée des droits de manifestants par des expulsions et délogements totalement illicites et en ayant recours à la force publique.

Nous avons constaté des poursuites pour des motifs saugrenus tel que l’occupation illicite du domaine public alors que les personnes poursuivies n’avaient fait que stationner quelques minutes aux alentours d’un rond-point. Nous avons constaté dans certains commissariats ou gendarmeries, que des avocats n’ont pas pu s’entretenir avec leur client gardé à vue en dépit de leur désignation. Certains encore ne sont pas tenus informés des suites judiciaires décidées par le seul Parquet relatives aux personnes pour lesquelles ils doivent intervenir : soit de remise en liberté, soit de leur présentation devant un Procureur de la République alors que l’avocat doit être averti de celles-ci. Pire encore, tant dans le cadre des auditions libres que des auditions durant les gardes à vue, nombre de « Gilets Jaunes » indiquent que des enquêteurs les ont dissuadés du recours à l’assistance d’un avocat en arguant de ce que si l’avocat intervenait, ils seraient remis en liberté beaucoup plus tardivement. Nombres de personnes ont donc renoncé au droit essentiel de la présence d’un avocat à leurs côtés pendant leurs auditions, espérant ainsi une sortie plus rapide de garde à vue ou bien la clémence des services judiciaires. Il a pu être constaté ainsi des auditions hors présence d’un avocat dont les personnes contestaient par la suite le contenu. Nous tenons ici à rappeler que nombre de « Gilets Jaunes » n’ont jamais eu à connaître auparavant la Justice pénale. Après des enquêtes souvent rapides, des investigations réduites au minimum et des prolongations de garde à vue dites de « confort », les gardés à vue sont fréquemment déférés en vue de procédures de jugements rapides dites comparutions immédiates. Ces procédures, où le mis en cause est jugé immédiatement après une garde à vue par définition éprouvante, sont habituellement réservées aux personnes ayant des antécédents judiciaires, pour des affaires relativement évidentes et relevant d’une gravité certaine.

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Pour autant, s’agissant des « Gilets Jaunes », nous avons pu voir ce choix procédural du Parquet être mis en œuvre pour des affaires plus complexes, pour des personnes sans aucun antécédent et s’agissant d’affaires ne présentant pas la gravité habituellement retenue pour ce choix procédural (dégradations, outrages…) Le traitement rapide des affaires judiciaires des manifestants nous semble l’œuvre du désir des pouvoirs exécutifs de donner une réponse forte. Nous rappelons que seul le Parquet dispose de l’opportunité des poursuites ce qui signifie que lui seul détermine le choix des procédures. Nous rappelons aussi que par plusieurs décisions, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (plus haute juridiction européenne, garante des libertés publiques et individuelles) a condamné la France pour absence d’indépendance du Parquet considérant que les magistrats du Parquet ne disposaient pas de l’indépendance nécessaire puisque relevant directement de l’Exécutif. Monsieur Castaner, Ministre de l’Intérieur, d’autres membres de l’Exécutif mais aussi Monsieur le Président de la République, Emmanuel MACRON, ayant indiqué, dans des tweets ou par voie de presse, que des réponses judiciaires sévères seront apportées par la Justice. Il convient ici de rappeler que constitutionnellement, le Président de la République est le gardien de l’indépendance de la Justice. De sorte que la sévérité ainsi demandée aux magistrats du siège pourrait constituer une atteinte à l’indépendance des magistrats du siège.

Cependant, il semblerait que certains magistrats ne s’émeuvent pas des consignes des pouvoirs publics et adhèrent à cette sévérité en prononçant des peines fermes avec mandat de dépôt, en ne tenant pas compte des critères habituels, notamment celui de la personnalisation de la peine et son adaptation au profil et aux faits reprochés et ce, alors que les mis en cause n’ont jamais été condamnés. De manière tout aussi fréquente, sont mises en place des procédures de convocation par procès-verbal remis par les procureurs et donc plaçant les mis en cause sous contrôle judiciaire parfois de longs mois avant leur jugement. Ces contrôles judiciaires, très contraignants, portent parfois des obligations ayant des conséquences graves comme des interdictions de paraître dans certaines villes alors qu’il s’agit du lieu de travail des mis en cause, ou encore des obligations de soins, sans lien avec les faits reprochés ou même des interdictions de conduire tout véhicule alors que là encore sans lien avec les faits reprochés. Nous avons même pu constater une interdiction de quitter le domicile entre certains horaires ! Certains avocats et aussi des magistrats du siège constatent aujourd’hui cette sévérité pénale et manifestement souvent inadaptée, et s’en émeuvent.

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A l’inverse, nous avons constaté que les procédures relatives à de présumées violences policières ne faisaient pas l’objet de la même célérité d’enquête ou de poursuites. L’identification de policiers mis en cause est longue et laborieuse, les poursuites rares, dans le cadre de procédures excluant les avocats (enquêtes préliminaires, enquêtes internes) de sorte qu’à ce jour, à la connaissance des avocats signataires, aucune poursuite pénale n’a abouti concernant des violences policières. Nous dénonçons par ailleurs des comportements qui posent question de la part des services de police quant à la présence de certains avocats, qui ont pu s’émouvoir de pratiques policières qu’ils constataient et qui ont fait l’objet eux-mêmes de mesures coercitives particulièrement inquiétantes. Nous pensons notamment à notre confrère de Nancy. Enfin, à l’instar de plusieurs parlementaires, nous sommes particulièrement inquiets quant au projet de loi actuellement en discussion dit « anti-casseurs » qui nous semble contraire à nombre de principes fondamentaux. Le cas échéant nous envisageons de saisir, par la voie de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), le Conseil Constitutionnel afin de déterminer si les libertés publiques, le droit européen et les textes fondateurs de notre République ne sont pas transgressés par l’application de la loi, si elle restait en l’état.

Nous, avocats signataires, tenons à alerter quant aux dérives que nous constatons et qui semblent porter atteinte aux droits individuels et aux libertés publiques dans notre République. »

Sophia ALBERT-SALMERON, avocate à Avignon – Khalida BADJI, avocate à Clermont-Ferrand – Georges BANTOS, avocat à Marseille – Betrand BEAUX, avocat à Montélimar – Myriam BERLINER, avocate à Paris – Marjorie BEREZA, avocate à Strasbourg – Avi BITTON, avocat à Paris – Sandrine BLEUX, avocate à Cambrai – Alexandra BODEREAU, avocat à Arras – Annabelle BOURG, avocate à Clermont-Ferrand – Ariane BOURGEOIS, Avocat au Barreau des Hauts-de Seine. – Joëlle CABROL, avocate à Toulon – Christine CASABIANCA, avocate à Aix-en-Provence – Brigitte CHARLES, avocate à Nice – Heloïse de CASTELNAU, avocat à Nanterre – Régis de CASTELNAU, avocat à Paris – Fabrice DELINDE avocat à Nanterre – Christine CERRADA avocate à Paris – Cyril DE GUARDIA DE PONTE, avocat à Perpignan – Philippe DE VEULLE, avocat à Paris – Christine CLAUDE-MAYSONNADE, avocate à Tarbes – Clotilde COURATIER-BOUIS, avocate à Paris – Mathieu CROIZET, avocat à Paris – Mathilde SANSON, avocate à Rouen – Estelle DELATTRE-ARENA, avocate à Bethune – Richard DOUDET, avocat à Limoges – Aziza DRIDI, avocat à Grasse – Jean Jacques DULONG avocat à Paris – Christophe DUMEZ, avocat à Montpellier – Anne DUNAN, avocate à Toulon – Alix ESTUBLIER-ADAMO, avocate à Toulon – Mazen FAKIH, avocat à Paris – Yoave FENNECH, avocat à Toulon – Olivier FERRI, avocat à Toulon – Saphia FOUGHAR, avocate à Nîmes – Laurent FRÉNÉHARD avocat à Rennes – Mireille GODARD, avocate à Aix-en-Provence – Charline GAIA, avocate à Toulon – Guylène GRIMAULT, avocate à Evreux – Charlotte GRUNDMAN, avocate à Paris – Anne GUTTADORO, avocate à Cannes – Marie-jeanne KAHN, avocate à Montpellier – Jacques LABROUSSE, avocat à Toulon – Jean LÉNAT avocat à Lyon – Charline LHOTE, avocate à Colmar – David LIBESKIND, avocat à paris – Alfonso M.DORADO, avocat à Paris – Christophe MACONE, avocat à Toulon – Alexandra MAILLOT, avocat à Saint-Denis (La Réunion) – Melissa MARIAU, avocate à Rennes – Sandra MOLINERO, avocate à Rouen – Nathalie MOULINAS, avocate à Tarascon – Léa N’GUESSAN, avocate à Paris – Michèle NAUDIN, avocate à Marseille – Jean-Marc PANFILI avocat à Montauban – Pascal PENCIOLELLI, barreau d’Evry – Salomé PERRIER, avocate à Nîmes – Sandrine RAGALD, avocate à Saint-Aimé (Martinique) – Elisabeth RAMACKERS, avocate à Nîmes – Florence RAULT avocate à Paris – Virgile RENAUD, avocat à Marseille – Nancy RISACHER avocate à Épinal – Anouk ROZZI, avocate à Dijon – Lizzie SACCHERO, avocate à Toulon – Karim SEBIHAT, avocat à Paris – Maïdou SICRE, avocat à Toulouse – Anthony SUTTER, avocat à Mont de Marsan – Cendrine TOBAILEM, avocate à Perpignan – Karine VICENTINI, avocate à Saint Quentin – Prisca VITALI, avocate à Marseille.

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