Lettre des hospitaliers aux gilets jaunes

Décembre 12, 2018

Communiqué de l’Association des usager.es et du personnel de la santé (AUP’S), à la suite de la manifestation du 8 décembre. Paris, 12 décembre 2018.


Tous les samedi, des manifestations de gilets jaunes ont lieu à Paris. Nous en sommes à l’Acte 4, et nous voyons un peuple qui n’en peut plus, qui ne demande qu’à vivre dignement, mais qui ne trouve en face que les violences ou le silence du gouvernement. Le mouvement des gilets jaunes a pris une ampleur inédite à travers le pays, et cette vague de protestation qui traverse la société ne semble pas diminuer mais augmenter voire se radicaliser. Il y a fort à parier que les très légères « concessions » de Macron ne satisferont pas grand monde.

En réalité, tout continue de donner raison à un mouvement de révolte. La vie qui nous est faite est de plus en plus minable, et on nous promet l’apocalypse écologique pour bientôt. En ce qui concerne la santé, on ne manque pas de raisons non plus :

  • Parce que les conditions de soin et de vie se dégradent en France,
  • Parce que les directions réduisent d’année en année les effectifs et les moyens humains,
  • Parce que nous sommes de plus en plus condamnés à maltraiter, gérer, ignorer alors que nous voudrions soigner.
  • Parce que les gens meurent aux urgences ou y dorment sur des lits de camp faute de place.
  • Parce que nous n’en pouvons plus des arrêts de travail, burn-out, démission.

Comme si ça ne suffisait pas, à chaque mobilisation des lycéens, des gilets jaunes ou autres, l’utilisation de gaz lacrymogène, de matraques, de flashball, de LBD, de grenades GLI F4 et désencerclantes cause des blessures profondes voire des mutilations. Ces dernières semaines on ne compte plus les mains arrachées, les visages éborgnés, les peaux lacérées, les gens blessés aux parties génitales, les comas, et les morts « accidentelles ».

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Nos collègues des urgences, avec l’accord de patients, nous ont fait remonter des photos de personnes mutilées le 1er décembre (attention images choquantes). Ce jour-là, plus de 160 blessés ont été pris en charge à l’AP-HP, et le 8 décembre, plus de 126 blessés[1]. En prévision de ce week-end chargé, l’AP-HP nous avait gratifié d’un « dispositif de vigilance renforcé », avec « des renforts médicaux et non médicaux »[2], ce qui peut prêter à rire quand on sait le sous-effectif chronique de soignants dans les hôpitaux et de médecins en France.

Cerise sur le gâteau, le directeur de l’AP-HP, Martin Hirsch, « appelait au calme » vendredi dernier, reconnaissant dans le même temps que les hospitaliers subissent « les mêmes conditions de vie, les mêmes salaires que les gilets jaunes ». Nous en prenons acte.

Nous voulons saluer ici les personnels soignants dans leur ensemble pour leur professionnalisme et leur disponibilité envers la population.

Nous avons reçu par message de nombreuses demandes de divers journaux et chaînes de télé pour témoigner sur les blessés et la situation dans les hôpitaux. Mais en discutant avec nos collègues des urgences nous constatons qu’ils ne souhaitent pas s’exprimer dans la presse, par peur des représailles et par méfiance vis-à-vis des médias.

Par ailleurs, il est très difficile d’obtenir auprès de l’AP-HP des informations claires sur le nombre de personnes mutilées, sur les types de blessures qui ont été traitées, sur le nombre de jours d’ITT qui ont été accordés, etc. Les journalistes en sont visiblement réduits à passer par nous pour avoir des informations sur ce qui se passe dans les services d’urgences, s’ils décident de ne pas se limiter au maigre compte-rendu de l’AP-HP.

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Nous serons avec les gilets jaunes dans la rue le 15 décembre et pour la suite.

Photo: le 8 décembre, pas loin de Bastille, les hospitaliers prennent la pose devant les CRS à cheval.

http://aupsante.fr/lettre-des-hospitaliers-aux-gilets-jaunes