Par Laurence Dequay
Gilets jaunes contre écolos de la marche pour le climat : on les a souvent opposés mais les manifestations de ce samedi 8 décembre à Paris montrent qu’en réalité, beaucoup se rejoignent pour exiger une sixième République qui conjugue justice sociale et écologique.
Gilets verts et gilets jaunes. Ils sont parfois montés dans les mêmes trains, ont covoituré dans les mêmes voitures pour gagner la capitale. Et ont eu, ce samedi 8 décembre, plusieurs occasions de se rencontrer à Paris.
Débarqué de Bretagne pour manifester dans l’après-midi contre le réchauffement climatique de la place de la Nation à celle de la République, Michel se postait en début de matinée en haut des Champs-Elysées, claquemurés derrière des panneaux de contreplaqué, au niveau du Drugstore. “J’observe le comportement des gendarmes et des policiers à l’endroit des gilets jaunes, nous confie cet écolo. Si ces derniers se livrent à des violences injustifiées, je pourrai témoigner”. Gendarmes et tanks bleus, soit dit en passant, fraîchement débarqués aussi de Saint-Brieuc.
“Emmanuel Macron pensait nous endormir en nous divisant. Maintenant, c’est son peuple qui s’approprie le ni-droite ni-gauche : les citoyens partout se rencontrent“, se réjouit Laurent, 47 ans, gilet jaune monté des Landes. “Cet élan de solidarité qui ne retombe pas nous dédommage du mépris dont nous accable le Président et son gouvernement”, complète sa compagne, Nathalie, 48 ans.
Puisque les élites ne respectent plus le peuple, pour ce couple du sud-ouest qui a tenu deux ans une pizzeria avant de baisser le rideau, il faut changer de Constitution afin de rendre nos institutions plus représentatives de la population. Instaurer notamment une procédure de référendum à l’initiative des citoyens, ce fameux “RIC” dont les trois lettres figurent sur de grandes banderoles blanches qui flottent au vent dans les cortèges jaunes. “Un changement éventuel de Premier ministre ou de gouvernement ne suffira pas. Je suis d’ailleurs sidéré que le chef de l’Etat n’ait pas déjà adressé ses excuses à tous les Français”, s’enflamme Laurent.
La sixième République flotte dans les manif’
Cette VIe République, Marjorie et Sergio, gilets jaunes venus de Normandie, l’imaginent avec moins d’élus, plus sévèrement contrôlés sur leurs dépenses. “Mon salaire a beau être très inférieur à leurs 5.000 euros mensuels, moi personne ne paye mes courses, ni mon essence, remarque Alice, mère de deux enfants, souvent dans le rouge en fin de mois. Je ne vois pas pourquoi il n’en serait pas de même pour nos parlementaires, nos ministres”. Afin de repartir du bon pied, le trio propose donc de commencer par une dissolution, puis d’élire une constituante qui augmenterait le Smic afin que chaque famille puisse vivre : se nourrir sainement, se cultiver, sortir une ou deux fois par mois. “Comme les défenseurs de l’environnement, nous aimerions aussi manger bio et ne pas respirer les gaz d’échappement, nous n’en avons plus les moyens”, renchérit un gilet jaune francilien.
Justement ce samedi 8 décembre à Paris, des manifestants jouent résolument à saute-cortège. Une fois leurs gants et lunettes de protection saisies par les CRS place de la Bastille, Paul et Julien 25 ans, gilets jaunes originaires de Savoie, rejoignent la marche pour le climat à hauteur du Père Lachaise. “Justice sociale et écologique vont de pair”, justifie le premier, réalisateur vidéo l’hiver, maçon l’été. “Dans ce cortège aussi, on réclame plus de pouvoir de vie”, relève le second, cuisinier. Autour d’eux, une forêt de pancartes : “Augmentez le SMIC, pas le CO2”, “Changez le système, pas le climat”, “Taxez le carburant des riches, pas celui des pauvres”…
Ce ralliement s’opère d’autant plus facilement que nombre de militant.e.s écologistes confient avoir lu avec la plus grande attention les diverses plateformes de revendications des gilets jaunes, publiées sur les réseaux sociaux. “Je suis tout à fait d’accord avec leurs propositions visant à changer le système pour le ramener vers le peuple”, s’enthousiasme Fanny, 32 ans, gilet jaune endossé sur sa veste en cuir. “Payer les élus au salaire médian, associer davantage les citoyens aux décisions qui les concernent en mobilisant des outils numériques, nous soutenons carrément ces initiatives“, renchérit Maxime, d’United4earth.org. “Simplement, nous avons deux ans d’ici aux prochaines élections. Posons-nous et préparons ensemble la mue du système”, propose cet expert en nouvelles technologies.
De fait, sur les Champs-Elysées comme dans le cortège vert Nation-République, les pancartes réclament le rétablissement de l’ISF et une lutte accrue contre la fraude fiscale. “J’ajouterais même, à ces revendications, la menace d’un Frexit si l’Union européenne ne révise pas ses dogmes budgétaires”, insiste, avant de déboucher place de la République, Fernando, fonctionnaire des finances publiques. Autant de convergences qui ne faciliteront pas l’intervention d’Emmanuel Macron annoncée pour le début de cette semaine : quand nombre de gilets jaunes s’entêtent à réclamer sa démission, des gilets verts suggèrent…son compostage d’ici à 2022.
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