Les “preuves” présentées par Le Drian : le vide comme nouveau fondement juridique à l’agression

15 Apr., 2018

I. Des frappes illégales

Samedi 14 avril, la France a donc de nouveau choisi de piétiner le Droit international, déshonorant son statut de Membre Permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, et en affichant son mépris pour ce droit, gardien de la Paix et de la Sécurité entre les nations.

Voici le communiqué de l’Élysée :

Notre Ministre des Affaires Étrangères est donc venu expliquer que cette action illégale était “légitime” :

…voire même parfaitement normale, vu que le Conseil de Sécurité était “systématiquement bloqué” (ce qui est le cas pour la Syrie comme pour Israël, notez) :

On rappellera que l’ONU est l’organisation qui a la sortie de la Seconde Guerre mondiale s’est vue investie de la tâche fondamentale de l’abolition de la guerre, en rendant cette dernière strictement illégale sauf à obtenir l’aval de son organe politique : le Conseil de sécurité.

Quoiqu’en disent les commentateurs (quand ça les arrange), il n’existe pas en droit un « abus de veto », au contraire, le veto est une possibilité discrétionnaire ouverte par la Charte de San Francisco. C’est un droit. Ce Conseil de sécurité qui à l’origine voulait regrouper les pays vainqueurs, s’est rapidement divisé en deux visions du monde, celle de la France, des États-Unis et de la Grande-Bretagne d’une part, celle de la Chine et de la Russie d’autre part.

Cette confrontation entre deux conceptions radicalement différentes des relations internationales devrait pousser ces États à rechercher le compromis, et donc à aborder ce jeu diplomatique avec finesse et intelligence.

Pendant la guerre froide, le Conseil de Sécurité a connu de longs moments de paralysie (car non, ce qui se passe en ce moment n’a rien d’inédit). On imagine relativement bien ce qui aurait pu advenir si les responsables de l’époque avaient égoïstement décidé, comme on peut l’entendre aujourd’hui, qu’il fallait « s’affranchir du Droit international » et passer outre les dispositions les plus essentielles qui le composent (exemple).

Mais bon revenons à l’affaire syrienne. La France a donc décidé de se ranger sur les vociférations irresponsables de Donald Trump :

En bref, “la communauté internationale”, peu soucieuse de la légalité internationale, a encore frappé :

II. “L’évaluation nationale” du 14/04/2018

Pour justifier cette action illégale, le ministère des Affaires étrangères a publié un document d’une dizaine de pages mêlant “analyses techniques d’informations de sources ouvertes” et “renseignements déclassifiés obtenus par les services français” :

Comme d’habitude, la presse a rapporté la publication de cette évaluation, sans la questionner :

En voici une première analyse (il est consultable ici) :


Il y aurait donc une quarantaine de morts. Causés par un bombardement chimique du gouvernement selon nos services de renseignement, qui le justifient ainsi :

Très bien, donc la source, ce sont des vidéos de “sites spécialisés” (dans les attaques chimiques ?), “la presse” et… “les réseaux sociaux”.

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On constate donc que nos impôts sont bien employés dans du matériel de renseignement de pointe.



Sur les 40 morts, 15 l’auraient donc été dans un seul immeuble.

Et ainsi se termine ici la partie “prouvant” la réalité de l’attaque chimique.

Reste à savoir qui l’aurait commise.

Se termine ici la partie “prouvant” quel camp l’a réalisé.

Oui, c’est rapide, mais bon, ils ont des “renseignements fiables”. Ils peuvent donc dire qui est le responsable (Youtube).

Le rapport se poursuit :

En effet. Voici un résumé des opérations les deux semaines précédentes :

Donc, dans ce contexte, à en croire les propos de notre gouvernement, l’armée syrienne aurait alors attaqué à l’arme chimique le 7 avril. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le cas échéant, ce serait un choix stratégique assez stupéfiant.

D’autant plus que l’armée syrienne a remporté la bataille 5 jours plus tard…

Suite du document, avec un simple rappel des faits – qui n’insiste pas sur les points précédents :

Il va donc falloir justifier la logique d’une telle opération. Et le document semble vouloir nous annoncer, très confiant, des arguments de poids :

Apparemment, cela “fait sens”, tactiquement et stratégiquement :

Gazer 15 personnes dans un immeuble “accélérerait” donc la conquête (qui a pourtant déjà été fulgurante).

Il est clair que c’est une bonne tactique – bon, qui a le très léger inconvénient de vous valoir des frappes militaires occidentales. Frappes qui ont tendance à un peu ralentir les opérations…


Donc on “punit” les enfants de la banlieue de Damas, priorité évidente et choix stratégique bien connu. Ce qui aurait donc pour conséquence, nous dit le document, que les “populations civiles” seraient “incitées à la reddition”.

Et ça, autant on parle souvent de la réédition des combattants, autant on ne parle pas assez de la “reddition des civils“.

Ainsi, en France, on a donc la chance d’avoir des cadors de la stratégie militaire – dignes héritiers de leurs prédécesseurs !



On note tout d’abord ceci. On ne peut évidemment exclure une manipulation du camp islamiste. Mais quand le rapport évoque ceci en quelques mots, il laisse penser que l’hypothèse serait qu’il y aurait alors une manipulation sous la forme d’une “manœuvre de communication” de grande ampleur ; donc, que les rebelles auraient pu monter une “fausse attaque”. Mais en réalité, l’hypothèse plus probable serait qu’ils aient monté avec peu de moyens une vraie attaque, qu’ils attribueraient alors à l’armée. C’est peu probable si le gaz utilisé est complexe, mais cela serait plausible si c’était du simple chlore. Or cette hypothèse, plus dure à réfuter, n’est même pas mentionnée…

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Mais le plus important est le raisonnement central : ça ne vient pas des islamistes, car “on ne dispose d’aucune information” dans ce sens. Fantastique !

On évitera donc de demander si ce manque d’informations ne serait pas plutôt lié au fait que :

  1. généralement, les manipulateurs font rarement un selfie les accablant, posté sur les réseaux sociaux (source majeure de nos analystes) ;
  2. la zone en question est assiégée, et un petit peu aux mains des salafistes :

Mais bon, Le Drian semble trèèès bien renseigné sur ce qui se passe dans cette zone, il doit avoir de très bons informateurs dans la zone salafiste (ah, “les petits oiseaux”)…



La France accuse la Syrie de préserver un programme chimique clandestin.

Ce point est vraiment très important. Mais nous le développerons dans la partie suivante.

Sait-on ce que sont devenus les stocks d’armes chimiques de Daech hmm ?

Donc le rapport renvoie à la précédente “évaluation nationale” du 26 avril 2017 – que nous avions déjà analysée à l’époque dans ce billet.

Ce rapport est de la même facture, et tout aussi convainquant…

Intéressante conclusion : il y a eu une attaque “sans doute possible”, et “il n’existe pas d’autre scénario plausible” qu’une attaque par l’armée.

Et on n’est pas sûr de la substance “en l’absence d’échantillons chimiques”… (et si on ne connait pas la substance, comment savoir si elle est bien interdite ?)

À vous d’en juger…

On notera enfin à la fin le coup de griffe à la Russie – pour le plaisir.

Le rapport se termine par deux annexes. L’une comprend 3 photos insoutenables de cadavres (“Images récupérées localement le 7 avril 2018 par une source également publiée sur Internet”, mais non localisables ni datables telles quelles), et une carte.

Il ne s’agit pas d’une carte de Douma, montrant précisément d’où seraient parties et où seraient tombées les charges chimiques. Non, juste ça :

dont la qualité fait qu’on pourrait presque se demander si elle n’a pas été trouvée par Macron jeudi dernier :

III. La non-saisie de l’OIAC

Revenons sur cet important point :

La France accuse donc la Syrie de préserver un programme chimique clandestin, et elle a bombardé les bâtiments suspectés d’en produire :

Rappelons que l’OIAC a déclaré en 2016 que l’arsenal chimique syrien avait été “détruit à 100 %” !

Bien entendu, la Syrie aurait pu cacher une partie de son stock ou en reconstituer (mais pourquoi le sortir pour tuer quelques personnes 1 semaine avant de gagner ?).

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Mais, si les pays occidentaux ont des informations, ce processus d’intervention n’est alors absolument pas conforme à la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (signée à Paris en 1993).

L’OIAC le rappelant clairement :

On peut donc légitimement se demander pourquoi la France semble ne pas avoir saisi l’OIAC en demandant une inspection par Mise en Demeure des sites bombardés pour faire éventuellement condamner la Syrie…

Il serait en tout cas utile de clarifier le fait de savoir si l’OIAC avait déjà visité ou non ces bâtiments :

Quoi qu’il en soit, l’OAIC a indiqué après les frappes que l’enquête allait pouvoir commencer (sic) :

IV. Des frappes illégitimes

En conclusion, on rappellera que nous n’avons pas pour but de défendre le gouvernement syrien. Il est tout à fait possible qu’il y ait bien eu une attaque chimique par l’armée syrienne (avec ou sans l’accord du gouvernement) – c’est peut-être même le scénario le plus probable.

Mais, nous sommes en droit, surtout après l’expérience irakienne, de demander des preuves solides, et un minimum de transparence.

Espérons donc que le gouvernement présentera prochainement des éléments plus solides (et qu’il avait en sa possession AVANT les frappes).

Ensuite, il faut rappeler qu’il n’y a pas trois pays “oints du Seigneur”, qui auraient pour mission de bombarder où bon leur semble – d’autant qu’il y aurait sur ces bases d’excellentes raisons de bombarder l’Arabie Saoudite, la Turquie, Israël…

On observe que la Chine et l’Inde (2,5 milliards d’habitants) ne se sont pas dit ce matin “tiens, bombardons la Syrie”. C’est donc qu’il y a un sacré décalage entre la conception de ce « triumvirat » occidental, et le reste de monde.

Ainsi cette manière de faire marque une sacrée régression du Droit international, on se retrouve plongé dans les anciennes doctrines de la “guerre juste“, archaïsme de l’église catholique qui tendait à appliquer des critères moraux à la guerre pour justifier cette dernière…

Enfin, une chose est claire, les trois États voyous du jour viennent d’envoyer un très dangereux message à l’Iran et à de nombreux autres pays : si vous ne voulez pas être bombardés, dotez-vous rapidement de l’arme nucléaire !

 

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