La gauche européenne et la tragédie grecque

Par Dimitris Konstantakopoulos *

Une grande confusion plane sur la Grèce, de même qu’une simplification à l’extrême. En effet, le problème grec est présenté comme étant principalement ou uniquement une question d’appartenance ou non à la zone euro. Même si elle est très importante en soi, cette discussion occulte toute solution progressiste et démocratique à la crise grecque, ayant le potentiel de sauver la Grèce et de résister à l’offensive du nouveau totalitarisme financier européen.

Une déclaration sur la Grèce associant Gianni Pitella, Ska Keller et Gabi Zimmer, respectivement présidents des groupes politiques au Parlement européen des Sociaux-démocrates, des Verts et des “Radicaux de gauche”, a récemment été publiée. Le même jour, les ouvriers et les employés grecs étaient en grève pour protester contre une nouvelle batterie de soi-disant “réformes” imposées par les “créanciers” dans le cadre d’un programme qui détruit le pays hellène ainsi que ses habitants.

Nous avons toujours l’espoir que les eurodéputés de ces trois groupes rejetteront cet accord indigne, et à peine croyable. Pour l’instant, ils ne l’ont toujours pas fait. (1)

Les trois responsables “de gauche” n’ont pas eu un seul mot en signe de solidarité envers les dizaines de milliers de Grecs qui ont tragiquement décidé de mettre fin à une vie qui leur était devenue insupportable à cause des “réformes” imposées à leur pays par les gouvernements allemand et européens, l’UE et le FMI.

Ils n’ont pas eu un seul mot de solidarité pour les 1,5 millions de Grecs vivant dans des conditions d’extrême pauvreté, conséquence de la politique adoptée et appliquée par madame Merkel, M. Juncker et Mme. Lagarde.

Ils n’ont pas eu un seul mot de solidarité pour les retraités qui ont vu leur pension être à nouveau réduite de 30%, pour ce qui sera la 17ème baisse consécutive du montant des pensions en 7 ans. Ces dernières ont été imposées par les créanciers et votées par le parlement grec dans un contexte de menaces et de chantages. Au contraire, ils ont approuvé la législation réduisant ces pensions.

Ils n’ont pas eu un seul mot de compassion pour les pauvres Grecs atteints du cancer qui mourront faute d’argent pour pouvoir payer les traitements fournis par les hôpitaux privés, à l’heure où le système de santé grec croule sous les réductions de budget. Et une nouvelle fois, ce n’est qu’une conséquence des réformes imposées par l’Allemagne, l’UE et le FMI.

Mais ces eurodéputés supposément de gauche ont en revanche bien trouvé les mots pour sommer le gouvernement grec de poursuivre l’application des “réformes” imposées à travers une alliance des élites allemandes et européennes avec la finance internationale. Ces réformes ont déjà provoqué, et continuent de provoquer, l’une des catastrophes économique et sociale la plus sévère de toute l’histoire du capitalisme international.

On se demande bien si l’Europe a besoin d’une telle gauche, et si oui, pour quoi faire ?

 

Réformes de l’UE et du FMI en Grèce : mode d’emploi pour détruire une économie

Il suffit de rappeler que le résultat de l’application du programme mis en place pour aider la Grèce a eu comme effet de faire chuter sa production économique, son PIB, de 27%. En termes relatifs, c’est plus que les pertes matérielles de la France ou de l’Allemagne à l’issue de la Première Guerre mondiale. C’est davantage que les pertes accumulées pendant la période allant de 1929 à 1933 aux États-Unis, ou pendant la crise de la République de Weimar en Allemagne. La Grèce approche les dix années de récession ininterrompue, ce qui serait probablement un record absolu dans l’histoire.

Le ministre des Finances allemand, M. Schaeuble, un personne que l’on croirait tout droit sorti des écrits du Marquis de Sade, et qui contrairement à M. Juncker ou à Mme Lagarde peine à le dissimuler, a expliqué ces états de faits lors du Forum de Davos en qualifiant les parlementaires grecs, et, tous les Grecs indirectement, de “stupides”. Il a déclaré que ses réformes étaient une excellente idée, mais que c’était les Grecs qui les appliquaient de manière stupide.

Peu importe si M. Schaeuble est intelligent ou stupide, je l’ignore d’ailleurs. Ce que je sais en revanche, c’est que M. Schaeuble est un menteur.

Cela m’a traversé l’esprit un jour, qu’étant donné que je suis un Grec, il y a de fortes chances que je sois stupide moi aussi. Alors j’ai décidé d’aller demander à un Allemand, le responsable de la “task force” pour la Grèce, M. Reichenbach, en l’occurrence, pourquoi il y a avait une telle différence entre les résultats du programme de la Troïka pour la Grèce et ceux, par exemple, du programme pour le Portugal. M. Reichenbach m’a répondu ceci : “Nous avons obtenu ces résultats en Grèce car nous avons retiré trois fois plus de demande à l’économie grecque qu’à l’économie portugaise”.

Voilà. C’est aussi simple que cela. Cette profonde et inédite dépression était, et est toujours le résultat des mesures économiques imposées par la Troïka.

 Un crime, et un acte de guerre, pas une erreur

Le désastre grec n’a rien à voir avec le fait d’être intelligent ou pas. Ce n’était pas non, et ce n’est toujours pas, une erreur. En voici les raisons :

1 Si c’était une erreur, elle aurait été corrigée il y a bien longtemps.

2 Il est difficile de croire que quelques-uns des économistes les plus brillants du monde, grassement rémunérés par le FMI, l’UE, les gouvernements allemand ou français, puissent commettre de telles “erreurs”, c’est-à-dire accidentellement détruire un pays européen par accident, comme s’ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient. (2)

Comme nous le savons maintenant grâce à des révélations qui ont été publiées et à des rapports internes du FMI, ce programme a été adopté après un coup d’État au sein même du FMI en 2010 qui a abouti à un contournement de ses propres règles et statuts. Un tel événement était nécessaire précisément parce que les économistes avaient pu prévoir ce qui allait arriver, et pas parce qu’ils en avaient été incapables, mais un tel résultat était inacceptable, même en termes d’orthodoxie néo-libérale.

Mais il était impossible qu’un renversement de cette ampleur se produise sans le consentement des gouvernements allemand, français et américain, de la Commission européenne et des capitaines de la haute finance internationale.

C’est pour cela que le programme de réformes pour la Grèce n’était pas une erreur mais un assassinat prémédité, et toujours mis en oeuvre au niveau politique et économique, d’une nation européenne et de son peuple. Et ce pour des considérations qui vont bien au-delà du pays en lui-même.

S’ils sont allés aussi loin avec la Grèce, contrairement aux autres pays du Sud, ce n’est pas par hasard, car s’ils avaient essayé d’appliquer un programme similaire dans tous les pays du Sud, ils auraient couru le risque d’une alliance qui aurait déclenché une révolte de la moitié des pays européens. C’est pour cette raison qu’ils ont dû choisir un seul pays pour pouvoir mener leur petite expérience.

L’idée était de se servir de la Grèce comme bouc émissaire pour tous les maux européens mais aussi comme menace, par extension, pour tous les autres. (Ce qu’ils ont d’ailleurs réussi à faire si l’on en juge par le comportement de M. Pitella, lequel semble avoir oublié les conséquences passées d’une alliance avec l’Allemagne). Tout cela a déjà été très bien expliqué dans de précédentes publications de la Gauche européenne radicale (3).

Ils déclaraient en 2010 vouloir aider la Grèce à résoudre ses problèmes. Ils répètent désormais à l’envi que la Grèce a reçu des aides financières gigantesques de la part de ses partenaires européens et du FMI. C’est exact. Mais ce qu’ils ne disent pas c’est que 95% de cet argent est retourné à Deutsche Bank, BNP Paribas ainsi qu’à d’autres banques européennes et étasuniennes.

Le programme de renflouement grec en était bien un, mais pas pour la Grèce. C’était un programme de renflouement pour les banques européennes et étasuniennes, qui ont ainsi pu effacer leurs pertes en les reportant sur le budget d’État grec, rendant la dette souveraine grecque encore plus “intenable” et détruisant les infrastructures productives et sociales de la Grèce.

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Dans le même temps, la destruction de la Grèce a permis à l’Allemagne et aux autres pays du nord de dégager d’énormes gains financiers nets en termes de taux payés pour leurs obligations d’État. Sans compter les profits résultant du pillage de la propriété grecque publique et privée et sans compter sur le profit généré par le retardement, à travers la destruction de la Grèce, de la toujours imminente crise du secteur bancaire européen.

En 2010, la Grèce était sommée d’adopter un programme de renflouement car elle était surendettée. Le résultat de ces mesures a été l’augmentation de la dette souveraine grecque de 115% de son PIB à 185% de son PIB, et, dans le même temps, la création d’une bulle de la dette privée en des proportions équivalentes.

Si l’on écarte la théorie selon laquelle les individus à la tête de l’économie européenne sont stupides et ne savent pas ce qu’ils font, la conclusion évidente à cela est encore une fois que ce qu’avaient en tête les architectes de ce programme de réformes s’est passé exactement comme prévu. Leur objectif était d’accroître les dettes grecques souveraine et privée et de les utiliser pour s’approprier la propriété grecque ainsi que la souveraineté d’État grecque, comme cela s’est passé.

C’est pour cette raison que le gouvernement allemand persiste à refuser de débattre sérieusement sur la dette et sur une solution sérieuse et définitive du problème. Ce n’est pas tant que Schaeuble ne veut pas que les Allemands “paient pour les Grecs”, puisque l’Allemagne et ses banques ont déjà gagné beaucoup d’argent, directement et indirectement grâce à la destruction de la Grèce. Mais c’est plutôt que Berlin souhaite garder cette arme en sa possession de manière permanente et l’utiliser pour piller et soumettre la Grèce.

Le FMI aussi souhaite le conserver, mais il veut que tout le programme soit plus stable et que celui-ci soit progressivement rendu transposable à tous les autres pays européens. C’est pour cette raison qu’il défend une certaine forme d’allègement, mais bien évidemment pas un de ceux qui rendrait à la Grèce sa souveraineté. Et c’est aussi pour cela que les “mesures d’allègement de la dette à moyen terme” en cours de négociation entre le FMI et Berlin seront non seulement insuffisantes mais elles impliqueront également des régulations néocoloniales qui resteront en vigueur pendant des décennies.

Cette situation autour de la dette grecque et de la position du pays au sein de l’eurozone provoque une grande instabilité à l’intérieur de celle-ci. Seuls les fonds spéculatifs “vautours” sont prêts à “investir” dans un pays dont on ignore ce qu’il sera et où il sera demain.

Le terme “réformes” est l’invention des Orwell et des Goebbels contemporains pour désigner ce qui est clairement un crime et un acte de pillage et de guerre, bien que non conventionnel mais politique et économique : une “dette de guerre” contre les habitants de la Grèce, sa démocratie et sa souveraineté.

Désormais, M. Schaeuble impose à la Grèce d’obtenir des excédents de 3,5% à 4% par an pendant plusieurs années de suite, ce qui est clairement impossible. Et il continue d’affirmer que la Grèce sera en mesure de payer 100 milliards d’euros pour rembourser sa dette au début de la prochaine décennie.

Encore une fois, ce n’est pas une question d’intelligence ou de stupidité. Il s’agit plutôt de mensonges proférés non seulement aux Européens en général, mais aussi aux citoyens allemands eux-mêmes qui, tôt ou tard, finiront par payer les actions de leurs dirigeants, comme cela s’est produit à deux reprises au cours du 20ème siècle.

La politique européenne de la droite allemande n’est pas à l’avantage des classes populaires allemandes, car l’argent que récupère l’Allemagne sur le dos de la Grèce n’est pas redistribué de façon équitable. Mais elle va aussi à l’encontre de l’intérêt national allemand, puisqu’elle dépense tout son capital accumulé depuis 1945 pour détruire et soumettre un petit pays européen. Les Allemands en voient déjà le résultat dans le Brexit et dans la montée de l’extrême droite française.

La question émerge à nouveau. Quelle est la politique de la “gauche” allemande et de la “gauche européenne” ? En ont-ils une ? Ont-ils retenu les leçons de l’explosion du PASOK [Mouvement socialiste panhellénique, NdT] grec, du Parti travailliste néerlandais ou du Parti socialiste français ? Ou sont-ils dépendants de la finance à point d’être prêts à se suicider ?

Au lieu de reprocher aux citoyens européens de se tourner vers l’extrême droite, les dirigeants de la gauche européenne feraient peut-être mieux de se regarder dans un miroir.

Un coup porté à la démocratie européenne

Les réformes grecques encouragées dans la déclaration mentionnée ci-dessus par les présumés “socialistes”, “écologistes” et “gauchistes” au sein du Parlement européen, ne sont pas qu’une simple expérience néolibérale, aussi rigoureuse soit-elle. La Grèce est devenue le terrain d’une expérimentation occidentale en terme de “changement de régime” et même de ce que l’on pourrait appeler un “changement de pays”. Ce qu’on essaie de faire c’est de transformer le régime démocratique de l’Occident en un mécanisme de régulation directe par la finance. Les formes extérieures de la démocratie parlementaire sont conservées, mais vidées de leur contenu.

C’est la Troïka qui fixe les règles de manière quotidienne à Athènes. Ses représentants appellent les officiels du gouvernement tous les jours et les rappelle à l’ordre au moindre mot ou à la moindre action qu’ils considèrent comme allant à l’encontre du “programme de réformes”. Quant aux représentants du “gouvernement grec”, ils ne peuvent même pas protester, car s’ils le faisaient, ils révèleraient le degré de servitude auquel ils ont déjà accepté d’être soumis.

Des milliers de pages de textes légaux (dont personne ne sait qui les a préparés, et sur ordre de qui) sont introduits en Grèce, traduits automatiquement par des programmes informatiques depuis l’anglais vers du grec souvent incorrect et ensuite voté par un simulacre de Parlement, sous la pression des ultimatums par un ministre des Finances allemand survolté et par les assassins économiques du FMI. Tout cela est fait en opposition avec la volonté du peuple grec, comme ils l’ont exprimé par référendum le 5 juillet 2015, ainsi qu’avec la plupart des dispositions fondamentales de la constitution grecque et des traités de l’UE.

Les créanciers ont même pris le contrôle des opérations quotidiennes des plus importantes prérogatives du gouvernement grâce à la création d’une galaxie “d’autorités indépendantes” qui sont donc “indépendantes” du gouvernement et du peuple grecs, mais qui dépendent quand même beaucoup de ceux-ci.

C’est de cette manière qu’est désormais administrée un pays membre de l’UE et qui est qualifié de “protectorat occidental” par le Financial Times, et décrite par d’autres, de manière plus adéquat peut-être, de “colonie de la dette”.

Mais ce n’est pas une colonie à part entière. C’est une colonie en proie à la destruction et au pillage permanents, dans un processus qui va la transformer en une variété d’économie esclavagiste et de société esclavagiste.

Plus de la moitié des jeunes Grecs n’ont ni travail ni la perspective d’en obtenir un malgré la casse, dans la loi et dans la pratique, des salaires et de tous droits que les personnes ayant un emploi possédaient auparavant. Les parents Grecs, et en particulier les mères, qui sont probablement les plus surprotectrices d’Europe et qui jusqu’à récemment adoraient avoir leur enfant le plus près d’elles possible, ont désormais un grand rêve : voir leur progéniture émigrer, même si c’est pour aller vivre en Australie, en Afrique ou aux Émirats.

Ceux qui émigrent sont ceux qui ont le niveau d’études le plus élevé et qui sont les plus actifs, précisément ce dont a besoin le pays si celui-ci venait à survivre. Des milliers de jeunes diplômés (au détriment de l’État grec) comme les médecins ou les infirmières, travaillent par exemple dans les hôpitaux allemands, puisque le système de santé grec croule sous le poids des présumées “réformes”.

Une nouvelle fois, il ne s’agit pas d’une erreur. M. Strauss-Kahn, alors directeur du FMI, a expliqué en 2011 aux parlementaires grecs que la solution au problème du chômage seraient pour les jeunes Grecs d’émigrer “temporairement”.

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En approuvant ce genre de “réformes”, la déclaration de ces trois groupes de “gauche” approuve le retour de la Grèce à des conditions sociales médiévales et l’abolition de la démocratie dans le pays où celle-ci a été inventée et nommée ainsi pour la première fois dans l’histoire humaine.

Existe-t-il une quelconque utilité à ce genre de résultat pour les travailleurs et les citoyens ordinaires allemands, italiens, et européens en général ?

Si la finance réussit son à imposer un tel régime à la Grèce, avec l’aide des élites politiques européennes, même de “gauche”, soi-disant, ne cherchera-t-elle pas tôt ou tard à étendre ce modèle aux pays du sud, mais aussi au pays du nord dans un deuxième temps ?

Le pillage de la Grèce

Malheureusement, la déclaration adhère non seulement à la destruction économique et sociale de la Grèce, et à l’abolition de la démocratie. Elle adhère également au pillage de ce pays. Ce qu’ils disent du libre-échange correspond à la pression exercée sur le gouvernement grec pour qu’il abandonne ses derniers espoirs de résistance à la vente de la totalité de la propriété publique grecque, qui implique également la vente de la Public Power Corporation, la principale entreprise de production d’électricité du pays. Ils parlent de concurrence, mais ce qu’ils veulent en réalité c’est s’assurer que ce sont bien les intérêts allemands, et non chinois, qui deviennent les propriétaires de l’entreprise de production d’énergie grecque !

Qui écrit réellement les communiqués comme ceux signés par les trois présidents ? Le font-ils eux-mêmes ? S’agit-il de leurs assistants ? ou bien sont-ils rédigés par les représentants des intérêts privés ?

Désormais la Banque centrale européenne exclut la Grèce de son programme d’assouplissement quantitatif. Le résultat, parfaitement sain et correct, est que les entreprises grecques sont dans une situation où elles sont incapables d’obtenir des financements et où elles sont dans une position très désavantageuses par rapport à leurs concurrents étrangers qui, grâce à cette concurrence déloyale, partent à l’assaut du marché grec, ou de ce qu’il en reste.

Sont en train d’être rachetés les communications, les aéroports, bien qu’ils soient encore le seul marché rentable, l’industrie du tourisme, le secteur du logement. Tout est en train d’être racheté, et même les propriétés privées des Grecs, à travers des taxes exorbitantes, imposées par la nécessité de servir une dette insoutenable.

Inutile d’être de gauche ou socialiste pour se révolter contre le retour des relations entre les nations européennes à la situation générale de l’époque des guerres de l’opium menées par l’impérialisme britannique contre la Chine. Avoir une dignité humaine rudimentaire suffit à se révolter.

Malheureusement les choses pourraient encore s’aggraver. Si ces politiques se poursuivent, elles provoqueront ce que Mikis Theodorakis appelait “la Grèce sans les Grecs”. Beaucoup d’individus évitent d’avoir des enfants. Les jeunes émigrent, la démographie grecque est en contraction permanente, alors que sa population devient de plus en plus faible, dans tous les sens du terme.

Si ce processus persiste, la Grèce deviendra un pays dirigé par des étrangers, possédé par des étrangers, habité par de moins en moins de natifs, vieux et malades. L’empire de la finance aura triomphé à l’endroit même où se trouve l’Acropole, vestige d’une saga déchue de la démocratie athénienne, première tentative, jusqu’à présent inégalée, des êtres humains de se gouverner.

Le FMI et la dette

Les trois représentants de la “gauche européenne” souscrivent également, de manière indirecte mais claire, à la présence constante du FMI en Europe en tant que gouverneur suprême de l’économie. Je me demande depuis quand exactement une telle organisation, qui de par ses activités dans le Tiers monde et dans les ex-pays “socialistes”, a acquis une bien pire réputation que la CIA, par exemple, est le bon outil pour gouverner l’économie d’un pays européen quel qu’il soit. Car elle n’est en réalité rien d’autre que l’expression collective de la volonté du capital financier international et des États-Unis d’Amérique.

Nos trois hommes de “gauche” souscrivent également à la vague idée d’un “plan d’allégement à moyen terme pour la Grèce” actuellement en négociation entre l’Allemagne et le FMI. Savent-ils de quoi il s’agit ? Car la reconstruction précédente, connue sous le terme de PSI [de la lettre grecque psi, NdT], s’est révélée être la première restructuration d’une dette qui aille clairement à l’encontre des intérêts du débiteur.

Dans le contexte de cette PSI, on a d’abord obligé les hôpitaux grecs, les fonds de pension, et les universités à annuler leurs obligations d’État, et à perdre par conséquent la plus grande partie de leur propriété. On s’est ensuite embarqué dans une transformation des termes légaux de la dette souveraine grecque, au détriment du pays, en la faisant passer d’une dette envers des entités privées en une dette envers des États, et en y introduisant du droit colonial britannique ainsi qu’une juridiction de tribunaux étrangers sur des questions relatives à la dette.

Avant la PSI de 2011 restructurant la dette grecque, cette dernière était libellée en devise grecque, il va donc sans dire qu’elle aurait été automatiquement transformée en devise grecque si le pays avait décidé de sortir de la zone euro. Après 2011, elle a été libellée en euros. Auparavant c’était le parlement et les tribunaux grecs qui étaient responsables de cela. Désormais, c’est le droit colonial britannique qui s’applique et ce sont les tribunaux étrangers qui sont en charge de juger les conflits éventuels.

Une fois de plus, cette restructuration de la dette n’a pas entraîné sa diminution, mais bien son augmentation en terme de pourcentage du PIB.

Si les créditeurs ont adopté, et ont fait adopter au parlement grec, des mesures aussi suicidaires, c’est qu’ils ont profité du fait que les deux principaux partis du pays à cette époque, PASOK et Nouvelle démocratie, étaient, comme cela a été largement prouvé depuis, rémunérés par de nombreuses firmes parmi lesquelles l’entreprise allemande Siemens. Même s’ils l’avaient voulu, les hommes politiques grecs n’auraient rien pu faire pour résister à la pression internationale, car ils auraient immédiatement encouru le risque de voir leur corruption révélée au grand jour et de se retrouver poursuivis pour cela.

Pourquoi ces eurodéputés de “gauche” n’ont pas réclamé la création d’une commission internationale pour enquêter sur la question grecque dans son ensemble, sur les origines de la dette grecque et sur les swaps de Goldman Sachs ? Pourquoi n’ont-ils pas demandé à M. Draghi, un vétéran de cette banque, tout ce qu’il sait à ce sujet ? Quel a été le rôle du gouvernement allemand et de la Commission de Bruxelles ? Quelles ont été les connexions entre les grands dirigeants des entreprises françaises et allemandes et la classe politique grecque corrompue ? Des réponses à toutes ces questions ainsi qu’à bien d’autres permettraient aux citoyens européens de comprendre ce qui se passe.

L’empire de la finance été capable de transformer sa propre crise en une guerre intra-européenne de la dette. Les citoyens européens s’opposeraient certainement à cela de manière unanime s’ils avaient conscience de ce que la finance a fait et de comment elle s’est servi des antagonismes intra-européens.

Ces partis de “gauche” ont-ils une position sur le noeud du problème, la dette grecque et les accords néo-coloniaux imposés par Berlin, l’UE, la BCE et le FMI à la Grèce ? Ou n’en ont-ils tout simplement pas ?

 

La solution à la question grecque

Notre position, en résumé :

Il existe trois choses, et pas une de plus sur lesquelles tous les économistes sérieux du monde s’accorderaient :

  • Le programme de “réformes” grec était, et continue d’être, un désastre
  • La dette grecque est insoutenable
  • La Terre est plate et elle tourne autour du Soleil.

Pas besoin d’être de gauche, socialiste ou communiste pour comprendre cela. Il suffit de lire le journal des industriels allemands, Handelsblatt ou les études des instituts économiques allemands. Une lecture attentive de ceux-ci serait très utile à quiconque voudrait faire carrière au gouvernement allemand.

La nature des mesures appliquées à la Grèce est objective, il ne suffit pas qu’un député grec se dise de “gauche radicale” pour que celle-ci change.

Après tout, Tsipras sera jugé pour la manière dont il a préparé, ou plutôt dont il n’a pas préparé le peuple grec à affronter ces forces qui allaient les attaquer. Mais quoique les gouvernements grecs puissent dire ou faire, cela n’altère en rien les responsabilités de ces forces qui sont Berlin, Bruxelles et le FMI.

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Quiconque voudrait proposer une solution au problème grec doit en tout premier lieu répondre à ces questions. Et cela s’applique aussi aux partisans d’un Grexit, car ces problèmes sont les problèmes qui tuent, littéralement les Grecs et leur pays et ils ne s’effaceront pas du jour au lendemain même si la Grèce quitte l’euro et ou l’UE. (4)

Pour de nombreuses raisons, une grande confusion plane sur la Grèce, de même qu’une simplification à l’extrême. En effet, le problème grec est présenté comme étant principalement ou uniquement une question d’appartenance ou non à la zone euro. Même si elle est très importante en soi, cette discussion occulte le fait que toute solution progressiste et démocratique à la crise grecque et ayant le potentiel de sauver la Grèce et de résister à l’offensive du nouveau totalitarisme financier européen, doit inclure les trois éléments, non corrélés à la question de la devise :

  • la nécessité de révoquer les accords entre la Grèce et les créanciers
  • la nécessité d’un fort allègement de la dette souveraine grecque ou, à tout le moins, d’un moratoire sur les remboursements jusqu’à ce que le pays soit fermement remis sur la voie du développement
  • un plan Marshall afin de réparer les dommages causés et d’ouvrir de nouvelles perspectives pour le pays.

Ces mesures ne sont ni socialistes ni communistes. Ce sont les mesures qu’ont introduit les États-Unis d’Amérique après la Deuxième Guerre mondiale afin de s’occuper de la question allemande.

Ce sont des mesures qui devraient être incorporées à un programme politique sérieux pour tout le continent (ce dont manque cruellement la gauche européenne). Celui-ci doit être accompagné de la construction d’un sujet politique européen qui complèterait les sujets politiques nationaux ainsi que d’une lutte pour ce programme.

Qu’on le veuille ou non, les Européens vivent objectivement de plus en plus dans un État unique. Mais notre vie politique et publique est, subjectivement, confinée aux contextes nationaux qui deviennent de plus en plus inadéquat. Il est urgent que ce fossé se réduise. Une fédération des mouvements européens nationaux-populaires de gauche capable d’agir réellement en tant que sujet politique européen est plus nécessaire maintenant qu’il ne l’était au temps de la conférence de Zimmerwald.

 

Notes

  1. Il est probable que ce communiqué ait vu le jour en raison de l’anxiété généré par le résultat de la réunion de l’Eurogroupe du 22 mai. Nous aimerions aussi que cette crise n’ait pas lieu maintenant pour une seule raison : les Grecs ainsi que les forces démocratiques et progressistes européennes ne sont absolument pas prêtes pour cela. Mais si celle-ci se produit, ce sera en raison de la structure même du programme et en raison de l’attitude bornée du ministre des Finances allemand, qui souhaite humilier le gouvernement grec et l’obliger à quitter la zone euro contre son gré et qui refuse de négocier quoi que ce soit de relatif à la dette grecque. On peut critiquer Schaeuble pour ce qu’il est en train de faire sans forcément soutenir un programme responsable de tant de désastres pour les Grecs et pour la Grèce.
  2. En fait, le gouvernement allemand ainsi que les entreprises privées allemandes ou françaises (comme Siemens), ou les banques ou leurs amis de Goldman Sachs ont toujours été au courant mieux que le gouvernement et le peuple grecs ce qui allait arriver dans leur pays. Et ce pour une bonne et simple raison : pendant des années, ils ont rémunéré la majorité des hommes politiques, des partis et des hauts dirigeants officiels grecs, comme cela a été révélé par des publications en Grèce et en Allemagne. Il est tout bonne ridicule de déclarer que la Grèce a falsifié les données statistiques pour entrer dans l’eurozone, grâce aux swaps de Goldman Sachs, sans que le gouvernement allemand ou la Commission européenne n’aient été au courant. Juncker lui-même, dans un accès de sincérité, a officiellement déclaré en 2011 : “Nous savions tous ce qui se tramait en Grèce. Mais nous n’avions rien dit à cause des exportations françaises et allemandes”.
  3. Mme Zimmer pourra trouver toutes les informations sur ce qui se passe en Grèce dans les textes de son propre parti Die Linke ou de la Fondation Rosa Luxembourg, ou dans la déclaration signée par presque tous les dirigeants de la Gauche européenne connue sous l’appel “Mikis-Glezos”, http://www.defenddemocracy.press/common-appeal-for-the-rescue-of-the-peoples-of-europe/ (en anglais)
  4. Dans le contexte de cet article, nous ne pouvons aborder la très importante question du Grexit. Une sortie de la Grèce de la zone europe pourrait être nécessaire, même si cela n’apparaît pas être la meilleure solution dans les circonstances actuelles. Mais elle ne pourra, en soi, ni solutionner la question de la dette ni les conséquences des accords signés jadis avec les créanciers. Ces deux questions, qui menacent directement la survie des citoyens grecs et de leur pays, demeureront au sein ou en dehors de l’eurozone et de l’UE. C’est pour cette raison que considérer le problème grec comme une question exclusivement ou principalement liée à l’euro est, au mieux, une simplification excessive dangereuse.Dangereuse car elle ne prendrait pas en compte que ce à quoi nous avons à faire en Europe n’est pas uniquement lié à une zone euro “mal” façonnée. CE à quoi nous assistons eu Europe est une guerre permanente menée par la finance contre la démocratie européenne et l’État providence. Une offensive qui sera ressentie par les pays, qu’ils soient ou non dans l’eurozone et/ou dans l’UE, et qu’ils soient dans l’UE ou non. Si demain, dans le contexte d’une lutte pour la survie sociale qui accoucherait d’une élaboration d’un projet cohérent et global pour le sauvetage du pays, un sujet politique et un mouvement de masse émergent et développent une telle capacité, alors ils devront se préparer à introduire un nouveau moyen de paiement domestique. Mais un tel sujet politique et un tel mouvement de masse n’existent tout simplement pas à l’heure actuelle, en particulier après le désastre de Syriza et d’Anel.Plusieurs sortes de Grexits sont possibles, et ils pourront avoir des conséquences économiques et géopolitiques très différentes, allant de très progressistes à très réactionnaires. C’est une chose qu’il soit préparé par un mouvement populaire fort et sérieux, et c’en est une totalement différent qu’il le soit selon les préférences de M. Schaeuble ou de la frange la plus extrême de l’establishment international après Donald Trump et Marine Le Pen. Cette dernière sorte de Grexit pourrait conduire non pas à recouvrer un certain degré de souveraineté mais à une destructions des derniers vestiges de l’État grec, dans un context de modèles géopolitiques plus larges et très radicaux. Si vous habitez Berlin ou Bruxelles, la géopolitique en général n’existe pas. Mais ce n’est pas le cas si vous habitez dans la zone orientale de la Méditerranée.

    * Note : pendant que nous publiions cet article, nous avons été informés de la courageuse déclaration de l’eurodéputé Fabio de Masi, membre de Die Linke, concernant la réunion du jour de l’Eurogroupe. Nous espérons que d’autres eurodéputés exprimeront aussi leur désaccord avec la position adoptée par les trois présidents sur la Grèce. Pour consulter cette déclaration, rendez-vous ici

 * Dimitris Konstantakopoulos est journaliste et écrivain. Il a été le Secrétaire général du Mouvement des citoyens indépendants Spitha, membre du Comité central et du secrétariat de Syriza, un membre du comité de rédaction du programme pour celui-ci et du Secrétariat du Comité sur la politique étrangère et de défense de Syriza

Traduit de l’anglais par Rémi Gromelle pour Investig’Action. Remerciements à N.D.