Marie WIERINK
Depuis les années 1990, les réformes du marché du travail n’ont pas cessé aux Pays-Bas, accentuant la flexibilité du marché du travail. Après une première période de recherche de flexicurité par un compromis entre les partenaires sociaux en 1996, à partir des années 2000 les forces de libéralisation ont conduit à une hyper-flexibilité de l’emploi aux marges de la réglementation et au développement de l’emploi indépendant en lien avec de nouvelles facilités fiscales. La crise de 2008 a amplifié ces évolutions au point que la flexibilité, qui touche 35 % des actifs en emploi en 2015, ne tarde pas à être critiquée par certains observateurs et experts comme excessive, et combattue par les organisations syndicales. À la faveur du retour des travaillistes à la coalition gouvernementale, un accord social sera trouvé en avril 2013 entre les partenaires sociaux, aménageant quelques correctifs. Obtenus non sans nouvelles concessions sur le terrain du licenciement et du chômage, il n’est pas sûr qu’ils soient à la mesure de la dérive constatée.
A partir de 2008, les Pays-Bas, touchés par la crise financière comme le reste de l’Europe, sont particulièrement sensibles au recul du commerce international, du fait de l’ouverture de leur économie. Le PIB recule, le déficit public se creuse brutalement, le chômage augmente jusqu’à atteindre un pic de 7,4 % en 2014 (tableau 1). Après un bref épisode de relance (2008-2009), le gouvernement programme de fortes économies budgétaires (autour de 1 % du PIB par an, et 51 milliards d’euros entre 2010 et 2017) qui ont des incidences sur toutes les politiques sociales, qu’elles soient gérées par les services de l’État ou par les municipalités (Wierink, 2014a). Par des alliances politiques diverses, l’État enclenche différentes réformes sur des sujets difficiles, notamment sur l’âge de la retraite, la révision à la baisse des retraites professionnelles, la protection sociale mais aussi le droit des contrats de travail, la procédure de licenciement et l’indemnisation du chômage. L’activité recule et l’emploi se rétracte avec retard, seulement à partir de 2010, du fait de pratiques de conservation de personnel et du recours au chômage partiel. À partir de 2015, les indicateurs économiques se rétablissent, le chômage commence sa décrue (6,9 %), suivant un timide redémarrage de l’activité tirée par la reprise du commerce international.
Il est tentant de faire un lien entre cette performance relative et le train continu de réformes du marché du travail menées sur longue période aux Pays-Bas. Pourtant, avant d’entreprendre l’analyse de ces réformes, il convient de nuancer ce taux de chômage par quelques éclairages complémentaires. D’une part, les allocataires du revenu minimum restent très nombreux : 463 000 personnes de moins de 65 ans en juin 2016, parmi lesquelles trois sur 10 peuvent être considérées à réinsérer professionnellement 1, à comparer avec les 574 000 chômeurs recensés en mars 2. D’autre part, la population féminine en emploi, qui représente 45 % des actifs en emploi, a en 2015 une durée du travail moyenne (25 heures par semaine) équivalente à 70 % de celle des hommes (36 heures par semaine), du fait de la prédominance du travail à temps partiel 3. À cette échelle, il est important de tenir compte de cette forme de partage du travail dans le niveau du taux d’emploi et de chômage. C’est sur ce tableau d’ensemble qu’il faut replacer le mouvement de réforme du marché du travail à l’œuvre aux Pays-Bas depuis les années 1990.
Depuis cette époque, l’emploi y semble soumis à un mouvement quelque peu tectonique, à l’image des déformations lentes de la croûte terrestre. La flexibilisation de l’emploi se traduit par une progression continue des emplois non stables et des emplois indépendants sans personnel, qui s’accélère depuis le début des années 2000. Elle touche plus d’un emploi sur quatre en 2012 – sans compter le travail à temps partiel –, et les estimations dépassent 35 % pour les plus récentes (CPB, 2016). Il s’agit là d’une évolution de long terme qu’on peut décomposer en trois temps, donc bien avant la crise financière, mais dont les développements se sont inscrits dans la ligne des incitations venant de l’OCDE ou de la Commission européenne. Pour présenter cette évolution, nous allons donc suivre un exposé chronologique, en trois parties, qui reflétera les compromis politiques successifs mis en œuvre par les coalitions gouvernementales qui se sont succédé au pouvoir. Après l’espoir de construire une flexisécurité à la néerlandaise dans les années 1990, on observe une dérive vers l’hyperflexibilité de l’emploi à travers de nouvelles formes d’emploi salarié instable et de fortes incitations à l’emploi indépendant depuis les années 2000, puis la difficile construction d’un grand accord social en 2013 qui, tout en réduisant la protection contre le licenciement et le chômage, cherche à abraser les abus de la flexibilité. Il est loin d’être certain qu’on y soit parvenu.
Les années 1990 : la flexisécurité comme nouveau paradigme
La flexibilité s’impose précocement dans le débat social aux Pays-Bas. On la pense comme une évolution dont les entreprises comme les salariés peuvent profiter. L’idée de construire un équilibre entre les intérêts des uns et des autres apparaît crédible. Les premiers remaniements des formes et conditions d’emploi remontent aux années 1990 et se déploient jusqu’au début des années 2000. Ils concernent le travail à temps partiel et l’emploi non stable (CDD, intérim, emploi indépendant) dont les modalités sont assouplies en échange d’un maintien du contrôle administratif des licenciements (Wierink, 1997). Ils prolongent peu ou prou le climat de coopération entre les partenaires sociaux et le gouvernement lié à l’accord de Wassenaar (1982), sur fond de transformation du marché du travail liée à l’entrée massive des femmes en emploi et à l’apparition de la problématique de la flexibilisation et de la modernisation des organisations productives. Après 20 ans de construction d’un État-providence très protecteur, ces réformes, combinées à une réorganisation de la protection sociale 4, visent à soutenir la compétitivité de l’économie des Pays-Bas face à la mondialisation. Dans le même temps, l’accent mis sur la maîtrise des dépenses de protection sociale – dont il ne sera pas question ici – mène à une politique visant à augmenter le taux d’emploi, notamment des peu qualifiés les plus exposés au chômage et à l’inactivité, et permet aussi de faire pression sur les salaires par l’augmentation des réserves de main-d’œuvre.
Le travail à temps partiel : flexible mais stable
Depuis les années 1970, la progression de l’emploi féminin est vigoureuse : le taux d’activité des femmes passe de 30 % en 1971 à 42 % en 1985 et 56 % en 1991 5. Cette entrée des femmes sur le marché du travail se fait à temps partiel, un temps partiel choisi, revendiqué même. Aujourd’hui, encore 75 % des femmes travaillent à temps partiel. Il s’agit d’une forme d’emploi stable, déployée sur tous les échelons de qualification, si l’on laisse de côté les formes les plus volatiles de petits emplois, celles dont la durée n’est pas définie (contrats zéro heure, ou contrats min/max 6, ou encore à cette époque les petits emplois de moins de 12 heures par semaine, non soumis à cotisations sociales). Le temps partiel est soutenu à partir des années 1990 par les féministes puis par le mouvement syndical qui en revendiquent le libre-accès pour tous, hommes et femmes, à tous les niveaux de fonction, et d’égalité de traitement. Il ne tarde pas à s’imposer aux partenaires sociaux sans confrontation ni opposition comme le moyen privilégié de faciliter la combinaison famille-emploi (Wierink, 1998a ; 2015). Il participe très clairement au développement de l’emploi sur la décennie 1990 et Visser (2000) parlera même des Pays-Bas comme de la première économie au monde à temps partiel. On doit y voir le premier instrument de flexibilité interne mobilisé par les entreprises pour s’adapter à la donne de la mondialisation et aux nouvelles normes de management (lean management).
Deux lois marquent les grandes étapes de la réglementation du travail à temps partiel : l’une (1994) sur l’interdiction de la discrimination entre travailleurs, notamment sur la base de la durée du travail entre salariés à temps plein et à temps partiel, et l’autre (2000, reprise dans une nouvelle loi sur la flexibilité du travail du 14 avril 2015 7) sur le droit des salariés à adapter leur temps de travail, à la baisse comme à la hausse, sauf raison impérieuse d’exploitation qui pourrait leur être opposée par écrit par l’employeur.
Le compromis de la loi Flexibilité et Sécurité
Le gouvernement « violet » qui s’installe en 1994 s’appuie sur sa composition originale (sociaux-démocrates du PVDA 8 et libéraux, sous la direction de Wim Kok, ancien président de la FNV 9, principale organisation syndicale) pour faire souffler un vent de modernisation et d’innovation institutionnelle, dans une ligne de type troisième voie. Dans le domaine social, on entre dans une période de mise en cause de la « rigidité » du marché du travail, aussi bien sur le plan de la politique salariale que de la gestion de l’emploi. Un vent nouveau de décentralisation souffle sur les négociations collectives, à partir de l’accord central « Un nouveau cours » (1993). La thématique de la procédure de licenciement, sensible, quasi-tabou pour les organisations syndicales (notamment le contrôle administratif préalable), est pointée depuis longtemps comme un de ces facteurs de rigidité, aussi bien au plan national que par l’OCDE. Le ministre des Affaires sociales du gouvernement Kok a bien l’intention de s’y attaquer, en rédigeant à l’intention des parlementaires une note Flexibilité et Sécurité, où il a l’habileté de traiter aussi bien cette question que celles de la réglementation des CDD et de l’intérim. Devant la polarisation politique entre les sociaux-démocrates et les libéraux que son projet suscite, il adresse fin 1995 une demande d’avis aux partenaires sociaux de la Fondation du travail (Wierink, 1998b).
Les partenaires sociaux reviennent en avril 1996 avec un accord unanime sur des propositions qui aménagent de nouvelles flexibilités dans la gestion des contrats de travail de durée limitée (CDD et intérim), sécurisent les formes d’emploi les plus volatiles, tout en préservant l’autorisation administrative de licenciement. Les termes de leur accord seront repris intégralement dans la loi du même nom, entrée en vigueur le 1er janvier 1999 (encadré 1). Il est essentiel de noter que la loi prévoit que les partenaires sociaux peuvent déroger à ses dispositions par des accords de branche, y compris pour accroître la flexibilité.
Les années 2000 : vers l’hyperflexibilité
Au travers d’estimations variables résultant de définitions multiples, l’emploi précaire a beaucoup augmenté depuis le début des années 2000. Ainsi, on comptait 23 % des emplois dans cette catégorie en 2004 et 34 % en 2014 10 selon la manière la plus courante de comptabiliser ces emplois, sur la seule base du statut d’emploi (CDD, intérim, indépendant sans personnel). Mais si l’on prend aussi en compte certains emplois stables dont la durée du travail n’est pas fixée (Wierink, 2014), comme le fait le site de Flexbarometer, on atteint 38 % de travailleurs flexibles au 1er trimestre 2016. Les années 2000 ouvrent une nouvelle période de créativité dans la flexibilité. Ce tournant correspond aussi à une succession de coalitions gouvernementales (chrétiens-démocrates et libéraux essentiellement) auxquelles ne participent pas les travaillistes du PVDA (2002-2012). Les potentialités de la nouvelle réglementation Flexisécurité sont développées à travers de nouvelles pratiques de ressources humaines (notamment le payrolling) mais des dispositions nouvelles, de nature fiscale, sont aussi introduites qui vont pousser le développement du travail indépendant.
Un mouvement de dérogations qui déborde la loi
Selon le ministre des Affaires sociales néerlandais, la réglementation de l’emploi flexible aux Pays-Bas, telle qu’elle est issue de la loi Flexibilité et Sécurité et du Code civil néerlandais, est après la Grande-Bretagne la moins contraignante des pays européens (Asscher, 2013). À la lumière de cette observation, il importe de souligner le rôle supplémentaire joué par les dérogations à la loi dans la dérive observée vers l’emploi instable. Comme on l’a mentionné plus haut, la loi Flexibilité et Sécurité de 1999 comportait en effet de nombreuses dispositions ouvertes à dérogation par les partenaires sociaux, tant en faveur qu’en défaveur des salariés. À l’époque, la FNV s’en était réjouie, dans l’espoir affiché d’améliorer les garanties légales. Or, un examen précis des dérogations intervenues dans plusieurs secteurs d’activité a montré le poids du cycle économique et de l’exposition à la concurrence sur les dérogations négociées, allant le plus souvent dans le sens d’une accentuation de la flexibilité (Houwing, 2010) 11. Selon Houwing, le poids des organisations syndicales est moindre au niveau sectoriel qu’au niveau national, leur pouvoir s’en ressent en matière d’arbitrage entre flexibilité et sécurité et, au niveau des branches ou des entreprises, la défense des intérêts des travailleurs stables peut également primer sur celle des travailleurs non stables.
L’explosion des formes anciennes et nouvelles de flexibilité salariée
Sur fond de croissance de la flexibilité, on peut parler d’explosion de l’hyperflexibilité, à travers un recours accru aux contrats traditionnels d’emploi précaire comme le travail sur appel, ou les « aides alfa » inventées au début des années 2000 12(voir infra), mais aussi à des formes plus nouvelles d’emploi comme le payrolling et le développement du contracting, une sorte de travail en régie, souvent lié aux pratiques de détachement de travailleurs étrangers (Wierink, 2014b). On peut interpréter ces développements comme le signe d’une grande inventivité patronale sur fond de permissivité du cadre législatif, et souvent aussi conventionnel. Les premières correspondent à un précariat qu’on pourrait qualifier d’emploi volatil. Le système de protection sociale néerlandais leur apporte une sécurité minimale, à travers la retraite universelle de base, différentes allocations sociales (logement, assurance santé) et le régime du revenu minimum si les ressources de subsistance de leurs ménages sont trop réduites et/ou s’ils ne satisfont pas aux conditions d’activité minimale pour le chômage en cas de période prolongée d’inactivité 13. Les secondes correspondent plutôt à un affaiblissement du statut du contrat standard, puisque sur le même lieu de travail, chez un employeur recourant à ces formes d’emploi, les travailleurs relevant de l’entreprise et de sa convention collective coexisteront avec ceux relevant d’un employeur loueur de main-d’œuvre en quelque sorte. Dans le travail sur appel, les travailleurs cumulent les deux fragilités de la précarité et du temps très partiel. Ces contrats sont fréquents dans l’hôtellerie-restauration, le nettoyage mais aussi le secteur de la santé (ABU, 2013).
Les formes plus nouvelles d’emploi en payrolling et en contracting peuvent être considérées comme des formes déviantes de « triangulation 14 » de l’emploi, loin des cadres posés pour le travail intérimaire. Dans le payrolling, l’utilisateur sélectionne directement sa main-d’œuvre qu’il fait ensuite gérer comptablement et administrativement par une société spécialisée, qui constitue l’employeur nominal. Alors qu’en 1999, on ne connaissait pas le travail en payrolling, en 2009, 2 % des emplois salariés étaient tenus par des payrollers (Asscher, 2013). Le personnel peut être en CDD comme en CDI mais dans les deux cas, c’est l’employeur nominal qui gère les contrats de travail. Pour la gestion des contrats de travail (salaires, classification par ex.), il peut y avoir inégalité de traitement entre les salariés en payrolling et ceux des utilisateurs. Dans le cas du licenciement, et notamment pour cause économique en lien avec des motifs tenant à l’activité de l’utilisateur, les procédures ne relèvent pas des mêmes garanties (plan social, règles d’examen par les Bureaux du travail) que celles visant les salariés de l’utilisateur. En contracting, ce ne sont pas des salariés qui sont recrutés par un utilisateur pour être mis à son service, mais bien une tâche, un chantier, une récolte qui est sous-traitée à un opérateur qui en fait son affaire, recrutant et employant la main-d’œuvre nécessaire. Comme certains scandales ont visé des intermédiaires ayant mis en œuvre de telles constructions dans l’agriculture avec des travailleurs d’Europe de l’Est, on a qualifié parfois ces montages de « construction polonaise ».
La montée de l’emploi indépendant sans personnel
Les années 2000 voient le nombre des indépendants sans personnel (Zelfstandige zonder personeel, ZZP) fortement augmenter et ce développement est stimulé par différentes innovations institutionnelles, de nature fiscale essentiellement. On pourrait comparer les ZZP aux autoentrepreneurs à la française. On compte comme indépendants sans personnel les personnes offrant leurs services à leurs propres risques, avec leurs moyens propres ou exerçant une profession libérale, le tout sans employer de personnel. Àcôté des dirigeants non salariés et des agriculteurs, on trouve des artisans (bâtiment), des spécialistes des technologies de l’informatique et des communications mais aussi des prestataires de services dans toutes sortes d’activités de services et commerciales, et récemment un nombre croissant dans le domaine sanitaire et social, à la faveur de l’assouplissement de certaines réglementations.
Les indépendants sans personnel ont connu une forte croissance à partir du tournant du siècle : ils représentaient en 1996 6,6 % des hommes et 5,5 % des femmes en emploi, et en 2010, respectivement 11,6 % et 7,9 % (CPB). En 2012, le CBS estime leur part à 10,2 % et leur augmentation à 50 % depuis 2001. Certaines estimations font état d’un tiers de ces indépendants qui auraient aussi une activité salariée, et d’autres soulignent le caractère temporaire ou transitoire de l’activité comme indépendant puisque 40 à 60 % ne travailleraient comme indépendants que quelques années (encadré 2).
Dekker et Stavenuiter (2013) soulignent le lien entre la croissance de ces autoentrepreneurs et les innovations institutionnelles apparaissant entre 2000 et 2006, essentiellement dans le domaine fiscal. Dans le cadre d’une opération de simplification administrative, un nouveau statut a été créé en 2001 (renforcé en 2005) pour clarifier la position de l’indépendant face à son donneur d’ordres à l’égard des services fiscaux et des organes de Sécurité sociale. L’indépendant bénéficie alors d’une déclaration VAR (Verklaring Arbeids Relatie) qui certifie sans contrôle sa qualité de travailleur indépendant et qui dispense son employeur de toute obligation de prélèvements fiscaux et sociaux à la source. Ce statut lui permet d’accéder à divers avantages fiscaux, substantiels, mis en place au bénéfice des indépendants 15.
Au fil des années, cette croissance a été critiquée du fait des abus auxquels elle a mené. Le « pseudo-travail indépendant » est le plus souvent faiblement qualifié, totalement subordonné sur le plan de ses horaires et de ses conditions de réalisation, et le travailleur économiquement dépendant d’un seul ou de très peu de donneurs d’ordres, tout en se prévalant de la déclaration VAR. Certains secteurs ont été épinglés comme ceux de la construction, des coursiers de livraison, ou encore des services postaux libéralisés qui ont confié la distribution du courrier non adressé à des indépendants (Wierink, 2011). Le phénomène est difficile à cerner mais certains observateurs l’évaluent à près d’un indépendant sur trois (Dekker, Stavenuiter, 2013). De nouveaux développements apparaissent dans les secteurs de l’enseignement (intervenants réguliers ou vacataires), et du médico-social (aide et soins à domicile notamment).
En effet, les divers instruments fiscaux conduisent à un différentiel de coût tout à fait tangible pour les donneurs d’ordres entre le recours à un indépendant sans personnel et un salarié, tout comme à un différentiel avantageux en matière de revenu disponible pour l’indépendant, par rapport aux conditions d’imposition et de cotisations sociales qui s’appliquent à un salarié. À partir d’une définition prudente, vu le caractère occulte des pratiques, on observe un différentiel de coût de 20 % par heure de travail pour l’utilisateur entre le recours à un faux indépendant et l’emploi d’un salarié, avantage augmenté encore par une durée du travail moyenne hebdomadaire bien supérieure (Ministerie van Financien, 2015). C’est particulièrement net pour les emplois les moins qualifiés, créant une distorsion de concurrence facilitant certes leur emploi mais sapant par ailleurs la base de financement de la protection sociale, sans offrir de garantie retraite complémentaire, de maintien des revenus en cas de maladie, d’assurance inaptitude et de droit au chômage. En cas d’accident de santé et de perte de revenus, ces travailleurs basculent dans les dispositifs de type filet de sécurité comme les allocations d’assistance aux frais de la collectivité, en échappant aux régimes de type contributif. Les faux indépendants apparaissent comme un groupe à risque à cet égard (Zandvliet et al., 2013).
Les années 2010 : entre correctifs et poursuite des réformes
Après les années de rigueur budgétaire et le train accéléré de réformes tous azimuts qui ont marqué l’après-crise financière, à partir de 2015, l’heure est à l’amélioration du climat économique (tableau 1). Il est intéressant d’observer que le Centraal Plan Bureau, organe de prévision de conseil au gouvernement, se garde de tout triomphalisme. Dans son rapport préparatoire à la discussion parlementaire du budget public 2017, il fait état de ces améliorations mais souligne les incertitudes qui planent sur la conjoncture, en lien avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, la baisse des taux d’intérêt, la réduction de l’export de gaz naturel néerlandais, les risques de surchauffe économique chinoise et la situation géopolitique, notamment au Moyen-Orient. Il semble par ailleurs y avoir aujourd’hui consensus sur la face cachée de cette performance économique : perte de terrain de l’emploi stable, affaiblissement de la consommation, sape de la protection sociale, relâchement des efforts de formation, coûts collectifs de la précarisation… Le démarrage de la campagne électorale pour les élections parlementaires du 15 mars 2017 n’y est sans doute pas étranger.
Les effets pervers de la flexibilisation
Les critiques des conséquences de la flexibilisation accélérée du marché du travail commencent à se faire entendre du côté des universitaires mais aussi de grandes institutions économiques 16 : moindre formation continue des travailleurs flexibles, impossibilité pour eux d’accéder à la propriété et au crédit, surexposition au chômage coûtant à la collectivité, et prise de conscience de l’augmentation des usages pervertis de la flexibilité, sapant les bases des accords collectifs et des assurances sociales (Asscher, 2013). La croissance de la flexibilité touche plus tôt et plus fort les plus faiblement qualifiés, à partir de 2003, tandis qu’elle ne débute qu’en 2009 pour les hautement qualifiés, avec la crise économique. En 2012, 18,5 % des faiblement qualifiés et 10 % des hautement qualifiés sont en emploi précaire (contre respectivement 12,5 % et 6 % en 2003) selon le CPB (2015) 17. La mobilité entre l’emploi instable et l’emploi stable décroît sur cette période. Le marché du travail connaît alors une progression continue des formes non stables d’emploi desquelles on a de plus en plus de mal à sortir, accentuée par la récession du début des années 2000. Ainsi, entre 1999 et 2006, un travailleur flexible sur huit (hors indépendants sans personnel) reste dans ces formes d’emploi trois ans et plus contre un sur trois entre 2006 et 2010 (Asscher, 2013).
Au plan social, plusieurs facteurs se conjuguent pour conduire en 2013-2014 à lâcher un peu de lest sur le terrain de la flexibilité, mais ce ne sera pas sans nouvelles concessions du côté syndical. Le gouvernement Rutte II avait repris dans son programme de gouvernement de l’automne 2012 les projets de réformes du licenciement ainsi que de réduction de l’indemnisation du chômage, sur lesquels la Commission européenne, dans ses recommandations, n’a cessé d’insister, faisant pression pour une plus grande flexibilisation du marché du travail. Mais les travaillistes sont associés à ce gouvernement, et le vice-Premier ministre travailliste, également ministre des Affaires sociales, Lodewijk Asscher, reste attentif au mouvement syndical pour qui la réforme du licenciement n’est discutable que si un contrôle administratif préventif du licenciement est maintenu. Le gouvernement, en défaut de majorité parlementaire au Sénat, a tout à gagner à assurer ses propositions d’un bon soutien de la société civile et des corps intermédiaires concernés. La concertation sociale est ainsi réanimée en 2013 après une période de gel liée aux remous créés au sein de la FNV par un accord sur la réforme des retraites professionnelles (juin 2011). En effet, sortant avec peine de la grave crise interne qui l’a traversée suite à cet accord, la FNV a repris l’initiative à partir de 2012 et a adopté une ligne plus offensive sur le terrain de l’emploi. Face au chômage en augmentation, notamment dans le secteur de la santé et du social touché par de très fortes baisses de budget et à la déstructuration de l’emploi, elle a vigoureusement dénoncé les emplois en miettes, les excès des contrats courts (contrats zéro heure, contrats min/max) et le recours abusif aux indépendants.
S’ajoutant au courroux des employeurs refusant de se voir imposer des quotas de travailleurs handicapés (Wierink, 2014c), les conditions paraissent donc réunies pour que la concertation sociale puisse repartir en 2013 sur des bases plus solides. Là encore, les règles du licenciement vont peser lourd dans les termes de l’échange mais contrairement aux discussions de l’accord Flexisécurité, cette fois-ci, les organisations syndicales vont admettre qu’elles soient modifiées. Le 9 avril 2013, un pacte social acte des points d’accord entre les partenaires sociaux, plus ou moins complètement repris par le gouvernement dans la loi Travail et Sécurité, Wet Werk en Zekerheid 18. Cet accord conduit ainsi à un ensemble de dispositions qui redessinent le paysage de l’emploi stable et instable aux Pays-Bas, en s’efforçant d’en réduire les excès les plus criants. La nouvelle loi est applicable au 1er janvier 2015 pour les contrats non stables et au 1er juillet 2015 pour les dispositions relatives au licenciement et au chômage. Nous présentons ci-dessous les dispositions de l’accord et de la loi en rapport avec le marché du travail qui nous paraissent les plus significatives 19.
Les contrats à durée déterminée : deux pas en avant, un pas en arrière
L’accord et la loi restreignent les conditions de recours aux contrats à durée déterminée. Le nombre de CDD successifs reste fixé à trois, mais pour une durée maximale de deux ans. La possibilité préexistante de dérogation défavorable à ces dispositions – et permettant d’aller jusqu’à six contrats sur une période maximale de quatre ans – est limitée, comme antérieurement, à l’intérim et aux situations où la nature intrinsèque de l’exploitation de l’entreprise (et non pas ses fluctuations) l’impose. La période d’interruption à respecter avant de contracter avec le même salarié un nouveau CDD (ou de rouvrir une nouvelle chaîne de contrats, dans la terminologie néerlandaise) passe de trois à six mois. La loi interdit toute dérogation à ce dernier paramètre, en rupture avec les pratiques antérieures de la loi Flexibilité et Sécurité qui avait ouvert en grand les portes des dérogations.
Plusieurs mois après la promulgation de la loi, les organisations patronales des PME du monde agricole sont montées au créneau pour contester cette dernière règle, alors même qu’elles n’avaient pas fait entendre leur voix lors des négociations préalables. Elles ont fait valoir que l’intervalle de six mois était trop long pour leur permettre de réembaucher légalement leurs salariés saisonniers entre deux périodes d’emploi liées à leurs activités agricoles. Elles ont été entendues et ont obtenu que soit limitée à trois mois la durée de l’interruption entre deux chaînes de CDD et la possibilité d’enchaîner trois CDD de suite sans encourir la requalification en CDI 20.
L’intérim : dérogations limitées mais CDI toujours inaccessible
La nouvelle loi Travail et Sécurité retouche les dispositions relatives à l’intérim et limite partiellement la liberté de négociation des dérogations pour les partenaires sociaux. Ainsi, elle édicte maintenant un plafond absolu de 78 semaines pendant lesquelles un intérimaire peut être envoyé en missions successives, sans être rémunéré pendant les périodes de non-activité. Mais, pour la suite, l’intérimaire est soumis à la réglementation des CDD. Comme les partenaires sociaux de la branche conservent toujours la possibilité de négocier des dérogations au nombre maximum des CDD et à la durée maximale de travail en CDD successifs, l’instabilité de son emploi va encore durer longtemps. Car les dérogations conventionnelles aux règles de limitation des CDD que peuvent négocier les partenaires sociaux du secteur permettent toujours de pratiquer jusqu’à six CDD successifs sur une période de quatre ans. Certes, l’intérimaire accède à une sécurité un peu plus grande puisqu’il est recruté pour des CDD de durée pré-fixée, pendant lesquels il sera assuré d’être rémunéré, qu’il soit en mission ou non. Mais c’est seulement au terme d’une période de cinq ans et demi au total (78 semaines + 4 ans) qu’il est censé accéder à l’emploi stable en CDI auprès de l’entreprise de travail temporaire qui l’aura ainsi continûment fait travailler 21.
Les payrollers et les contrats zéro heure : des faibles engagements
Les partenaires sociaux se sont préoccupés dans l’accord social des payrollers,d’une part, et des contrats zéro heure dans le secteur de la santé, d’autre part. Leurs engagements sont seulement cités dans le mémoire accompagnant le projet de loi, sans y être repris. Pour les payrollers, l’accord social de 2013 a acté deux points : les payrollersemployés par une entreprise utilisatrice devront recevoir un document les informant clairement de leur situation, et précisant les responsabilités de l’entreprise de payrolling qui les gère et de l’entreprise utilisatrice qui les a recrutés. Par ailleurs, en cas de licenciement collectif, les règles de traitement du licenciement des salariés en payrolling et de leurs collègues de travail des entreprises utilisatrices par les bureaux de l’emploi seront uniformisées, pour mettre fin aux disparités de traitement entre les uns et les autres.
Les contrats zéro heure renvoient aux situations de travail sur appel. Elles constituent une exception au principe qui veut que, après six mois d’ancienneté, les salaires soient dus même pour des heures non ouvrées quand le manque de travail est dû à l’employeur. Les salariés titulaires de contrats zéro heure n’ont aucune garantie ni de travail ni de rémunération, en application de cette faculté de dérogation utilisée, entre autres, dans le secteur de la santé. Dans le secteur de la santé, le syndicat Abva Kabo de la FNV a combattu fermement ces pratiques et obtenu que les partenaires sociaux demandent au gouvernement d’y interdire ce type de contrat. Le gouvernement s’engage seulement à discuter avec les partenaires sociaux des secteurs professionnels relevant de la santé de règlements qui interdiront cette faculté de dérogation (Asscher, 2013).
Début d’encadrement du travail indépendant…
En ce qui concerne les indépendants sans personnel, les changements dans les pratiques d’emploi sont induits depuis le champ de la fiscalité. L’ancienne déclaration VAR (voir supra) était très critiquée. D’une part, elle n’avait aucune objectivité quant au caractère réellement indépendant de la prestation de travail fournie puisqu’elle dépendait d’une déclaration unilatérale du travailleur. D’autre part, elle ne protégeait pas les donneurs d’ordres de redressements de la part des administrations concernées contestant justement la non-subordination de la prestation de services.
On met alors en place un système de déclaration bilatérale de prestation de services, à signer par le travailleur et son donneur d’ordres, calquée sur des modèles sectoriels « d’accord de commande » (model van opdracht overeenkomst). Ce système, mis au point par l’administration fiscale, cherche à préciser les conditions de réalisation et de prix des prestations, librement adaptables en cas de besoin pourvu qu’elles garantissent la liberté d’organisation du travailleur, et notamment son droit à se faire remplacer. L’objectif est de faire obstacle, par l’obligation de cette formalité, au camouflage de travail subordonné en travail indépendant. La mise en pratique de cet objectif est difficile. Dans certains cas, il faudra justifier d’autant de contrats que d’interventions. Les prestations non appuyées sur de tels contrats ne seront pas prises en compte dans le cumul des 1 225 heures d’activité, plancher pour bénéficier de la principale déduction fiscale dont bénéficient les travailleurs indépendants. Les donneurs d’ordres peuvent se voir appliquer des rappels d’impôts et de charges sociales.
L’administration fiscale peine à mettre au point les modèles de contrat et des critiques s’élèvent pour contester la lourdeur administrative de ce dispositif et son inadaptation aux prestations de services de courte durée, avec des donneurs d’ordres multiples. Une période de transition est prévue jusqu’au 1er mai 2017 et il est trop tôt pour en évaluer les effets. Suite à ces difficultés, on observerait déjà des changements de stratégie de la part de certains donneurs d’ordres, cherchant à s’assurer la collaboration de travailleurs détachés par des entreprises de payrolling, voire des entreprises de travail temporaire 22. Ainsi, on pourrait bien observer des effets de vases communicants entre les différents statuts de l’emploi flexible.
À la suite de l’accord social de 2013, le gouvernement a accepté d’intensifier les contrôles de l’inspection du travail en lançant un recrutement temporaire de quelques inspecteurs du travail. Il est difficile de penser qu’un recrutement « temporaire » soit adéquat pour faire face au phénomène structurel du faux travail indépendant.
… mais une protection sociale déficiente
Cet aménagement du mode d’activité indépendant laisse ouverte la question de la protection sociale des indépendants, et particulièrement de leurs garanties de retraite : la moitié des indépendants sans personnel (vrais et faux) ne financent aucun plan de retraite complémentaire professionnelle.
Au plan collectif, si les indépendants tirent avantage d’une faible protection sociale maladie, invalidité, chômage et retraite en termes de prix de leurs services en comparaison des coûts salariaux, des voix s’élèvent pour mettre en cause le coût pour la société de cet état de fait. En effet, en cas de problèmes d’invalidité ou de perte d’activité, les indépendants recourent aux dispositifs de type filets de sécurité (revenu minimum principalement) financés par la collectivité auxquels ils ont faiblement contribué du fait des facilités fiscales dont ils ont bénéficié. Au plan individuel, c’est leur absence d’épargne complémentaire retraite qui fait problème. Peu d’entre eux sont capables de financer une assurance retraite qui pourra s’ajouter à leur retraite publique, les exposant à la pauvreté 23.
L’association patronale AWVN 24 a proposé d’apporter aux indépendants sans personnel une protection sociale plus complète en reconfigurant une protection sociale de base non liée au contrat de travail. L’idée sous-jacente est celle de réduire la distance entre l’emploi stable et flexible, ou encore de les rapprocher. Ces idées ont suscité l’intérêt de presque tous les partis politiques. Mais la FNV s’y oppose fermement, voyant dans cette tentation d’aller vers un mini-système de protection sociale une menace pour le système social dans son ensemble. Pour Ton Heerts, le lien entre les cotisations et les assurances sociales doit être absolument préservé, sous peine de tomber dans des dispositifs planchers bien moins protecteurs. La FNV estime avoir fait assez d’efforts nécessaires avec les partenaires sociaux pour maîtriser les coûts salariaux : « Ces dernières années, nous, partenaires sociaux, avons convenu de limiter les indemnités de licenciement, de supprimer les préretraites et de maîtriser l’inaptitude. C’est déjà une énorme contribution à la soutenabilité des finances publiques », déclare Ton Heerts dans une interview le 9 juin 2015. Les indépendants sans personnel doivent être considérés comme des entrepreneurs, et à ce titre, il leur appartient de réclamer des tarifs plus élevés leur permettant de s’assurer 25.
Plus d’égalité de traitement en cas de licenciement mais moins d’indemnités
L’accord social d’avril 2013 (Wierink, 2014c) a tracé les lignes directrices de la nouvelle réglementation du licenciement portée par la loi Travail et Sécurité. Deux novations sont remarquables. D’une part, un plafonnement des indemnités, rebaptisées indemnités de transition et une réduction du barème pratiqué ont été échangés contre une généralisation de ces indemnités à tous les licenciements, y compris les fins de contrats à durée déterminée atteignant les deux ans d’ancienneté requis. En ce sens, le gouvernement se vante d’avoir rapproché les deux contrats à durée déterminée et indéterminée. D’autre part, une clarification de procédure est apportée : tout licenciement individuel pour cause autre qu’économique ou d’inaptitude sera dorénavant soumis au contrôle du juge cantonal (sauf accord amiable entre l’employeur et le salarié), tandis que l’administration de l’emploi se verra soumettre les licenciements pour motif économique (individuel ou collectif) et ceux pour inaptitude.
Jusque-là, en matière de licenciement individuel, l’employeur avait le choix de s’adresser au juge cantonal 26 ou aux bureaux de l’emploi. Cette dualité de voies de traitement des licenciements individuels avait des conséquences en matière d’indemnités de licenciement : celles-ci étaient réservées aux résiliations de contrats gérées par le juge cantonal ou intervenant dans le cadre de plans sociaux, tandis que les licenciements individuels autorisés par l’administration de l’emploi restaient non indemnisés. Le barème de ces indemnités était fixé par l’association des juges cantonaux. Dans les licenciements collectifs, pris comme base dans les négociations de plan social, ce barème était couramment amélioré par les partenaires sociaux. Du côté des licenciements individuels, ce dualisme renvoyait aussi bien souvent à la taille des entreprises. Les plus petites entreprises recouraient plus fréquemment aux Bureaux du travail UWV, tandis que les plus grandes faisaient intervenir le juge dans la résiliation des contrats de travail. Ainsi, à situation comparable de perte d’emploi, les travailleurs se trouvaient très inégalement protégés sur le plan de leurs indemnités de rupture. Les organisations syndicales ont donc accepté le nouveau système d’indemnités de transition, présenté comme plus juste, tandis que le plafonnement des indemnités à 75 000 euros (ou un an de salaire si supérieur), représentant plus du double du salaire moyen annuel, leur paraissait protecteur du niveau des indemnités de la grande majorité des salariés.
Dans le nouveau dispositif, l’intervention du juge ou de l’administration du travail est vue comme un contrôle « préventif » et tous les licenciements seront soumis à l’un ou l’autre :
– le juge pour toutes les situations de licenciement individuel pour raisons personnelles sauf les cas de longue maladie débouchant sur l’inaptitude soumis à l’administration du travail (qui gère les procédures d’admission à l’invalidité) ;
– les bureaux de l’UWV pour les licenciements économiques et pour les cas de longue maladie.
Mais la loi Travail et Sécurité dispose aussi que les partenaires sociaux de branche peuvent mettre en place une commission indépendante d’examen des licenciements collectifs, alternative à la saisine de l’UWV. Dans le cas de licenciement économique, la loi ouvre aussi la possibilité de décompter des indemnités de transition le montant de dispositifs de formation ou d’aide au reclassement dont les travailleurs auront pu bénéficier.
Malgré la conclusion de l’accord social en avril 2013, le front patronal n’apparaît pas unifié. MKB, l’organisation patronale des PME, en cours de rapprochement avec l’organisation patronale des grandes entreprises VNO-NCW, s’est élevée contre la nouvelle loi, après sa promulgation, en arguant que les petites entreprises ne pourraient supporter les coûts des licenciements. Malgré leur réduction, elles ont contesté – sans succès – la généralisation des indemnités de transition, qui accompagne la clarification de la procédure de licenciement.
Durcissement des conditions d’indemnisation du chômage
Par la réduction de la durée de l’indemnisation du chômage et le resserrement de la définition du travail acceptable, les partenaires sociaux et le gouvernement entendent stimuler le retour à l’emploi et contenir le coût des mesures d’indemnisation qui a doublé depuis 2008 (Asscher, 2013).
En 2005, la durée maximale d’indemnisation du chômage avait déjà été réduite de 60 à 38 mois, pour les travailleurs justifiant de plus de 40 ans de passé professionnel. Les partenaires sociaux sont parvenus en avril 2013 à un accord sur la réduction de cette durée à 24 mois, pourvu que liberté leur soit laissée de construire des dispositifs conventionnels complémentaires pour 14 mois. Le gouvernement s’est saisi de leur accord pour acter cette réduction, tout en restant vague sur le prolongement conventionnel, et renvoyant à des discussions, toujours en cours, à la Fondation du travail. La mesure est censée entrer progressivement en application à partir du 1er janvier 2016 pour tous ceux qui entrent au chômage et trouvera son plein effet en 2019 27. Quelques aménagements sont prévus pour les chômeurs les plus âgés, pour éviter leur basculement dans le régime d’assistance à la fin de leurs droits. Ceci ne règlera pas les difficultés des chômeurs âgés de plus de 45 ans qui peinent à se réinsérer : en 2015, sur les 16 000 allocataires supplémentaires du revenu minimum, 11 000 avaient plus de 45 ans 28.
La contrainte d’accepter un emploi disponible est fortement renforcée. Alors qu’un chômeur était tenu d’accepter un emploi d’un niveau de rémunération inférieur au bout de six mois d’indemnisation, et tout emploi disponible au bout de 12 mois, la règle devient maintenant celle de l’obligation de prendre tout emploi disponible au bout de six mois. Pour adoucir les effets de cette mesure, les dispositions de cumul d’allocations de chômage en complément d’une rémunération inférieure à celle de l’emploi perdu sont maintenues pendant six mois, pour rendre dans tous les cas la reprise d’emploi plus rémunératrice que le chômage.
Conclusion
Face aux ambitions de la loi de 2014 de sécurisation de l’emploi et de « décence » du marché du travail, selon le terme utilisé par Lodewijk Aasscher, ministre des Affaires sociales 29, les travaux d’observation des pratiques d’entreprises comme de prospective apportent de sérieux doutes. Ainsi, le rapport biannuel sur la demande de travail du SCP établit que les entreprises, en 2013-2014, ont accentué leur recours aux travailleurs flexibles, et ont moins investi dans leur formation que dans celle des travailleurs stables (Van Echteld et al., 2015). La progression des indépendants se poursuit : ainsi, dans le bâtiment, le taux de travailleurs indépendants est passé de 21 % en 2008 à 28 % en 2014, selon les calculs du CBS 30. Certains prévoient même un taux de 30 % des emplois en 2020 (Goudswaard et al., 2014). Dans deux articles de NRC, Mark Beunderman 31 fait état de plusieurs travaux qu’il est intéressant de mettre en relation. D’une part, la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI) s’alarment de la montée du travail indépendant aux Pays-Bas, absorbant la quasi-totalité des nouveaux emplois créés, minant l’équilibre économique des institutions de protection sociale, et ralentissant les progrès de la productivité, du fait de la faiblesse des investissements en formation dans ces personnels. D’autre part, l’amélioration du chômage serait en partie cosmétique : derrière le temps partiel choisi se cache maintenant du sous-emploi, particulièrement du côté des indépendants dont 16 % voudraient travailler davantage, et du côté des travailleurs découragés, qu’on estimait fin 2015 à 131 000 pour 587 000 chômeurs enregistrés. Enfin, la part des gains des travailleurs (salaires et gains des indépendants confondus) dans la valeur ajoutée a reculé de 78 % en 2003 à 73 % en 2015, malgré le rétablissement de la conjoncture et la réduction du chômage 32. En d’autres termes, en dépit des efforts des partenaires sociaux et du gouvernement pour civiliser son usage, l’emploi flexible doit aussi être considéré comme un facteur essentiel de la modération salariale aux Pays-Bas.
Marie WIERINK * Chercheure associée à l’IRES.
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1. CBS, « Aantal bijstandgerechtigden opnieuw toegenomen », CBS Bericht, 31 augustus 2016.
2. En août 2016, trois allocataires sur 10 sont intégrés dans un programme de réintégration aumarché du travail (formation, stage de réinsertion avec aides financières) : CBS, « Werkloosheid
daalt », CBS Bericht, 21 april 2016.
3. CBS, « Sterke toename flexwerk », CBS Bericht, 1 juni 2015.
4. Notamment réduction du niveau des indemnités d’invalidité et de revenu minimum (1987-1989),puis réformes des régimes d’invalidité (1991 et s.) et du revenu minimum (1995).
5. Sociale Atlas van de Vrouw, deel 2, SCP, 1993, p. 21.
6. Contrats pour lesquels un plancher et un plafond d’heures de travail sont définis, entre lesquelsle temps de travail peut varier, au gré des besoins de l’entreprise.
7. « Wet flexibel werken », applicable au 1er janvier 2016.
8. Partij van de Arbeid, Parti du travail.
9. Federatie Nederlandse Vakbeweging, Confédération syndicale des Pays-Bas
10. CBS, « Sterke toename flexwerk », CBS Bericht, 1 juni 2015.
11. Ainsi par exemple, dans le secteur de l’intérim, non seulement le paramètre de six mois de CDDlimités à la durée des missions successives a été immédiatement étendu à 18 mois dans les deux conventions collectives. Mais la possibilité pour les intérimaires d’accéder à la sécurisationde leur emploi, par un parcours les faisant passer de contrats de mission à des CDD successifs puis enfin au CDI, est restée très limitée. Elle varie entre 6 et 20 % selon les estimations, notamment du fait qu’ils sont souvent laissés de côté avant qu’ils n’atteignent le nombre de semaines travaillées leur ouvrant l’accès aux phases des CDD et CDI (Houwing, 2010).
12. Les « aides alfa » sont des femmes travaillant à domicile auprès de personnes âgées ou handicapées dans de petits emplois de moins de 15 heures par semaine, comme salariées en emploi
direct, mais selon des plannings et des instructions donnés par des services d’aide à domicile. Elles ne bénéficient ni d’une retraite complémentaire professionnelle, ni d’allocations chômage ou maladie, en cas d’arrêt de travail.
13. Une analyse plus fine des liens entre ce précariat et la pauvreté nécessiterait d’autres développements. Signalons toutefois la surreprésentation des jeunes, des peu qualifiés et des femmes
dans les formes d’emploi les plus instables.
14. La « triangulation » renvoie au travailleur subordonné à l’autorité de l’utilisateur pour la réalisation de son travail et soumis au pouvoir de gestion de son employeur nominal.
15. Différentes déductions s’appliquent aux revenus d’activité des indépendants, qui viennent minorer leur revenu imposable, et augmenter les aides (au logement, à l’achat de l’assurance santé)
dont ils peuvent bénéficier. Pour bénéficier de la principale (zelfstandigenaftrek), il faut avoir travaillé 1225 heures dans l’année. En 2010, elle était de 9427 euros pour des revenus d’activité
entre 0 et 10000 euros, sans pouvoir être supérieure aux gains déclarés, et décroît ensuitejusqu’à un minimum de 4574 euros pour les gains au-delà de 59900 euros. En 2007, 70 % des
indépendants en font usage (SER, 2010). Depuis 2012, le montant est unique (7280 euros) sanspouvoir être supérieur aux gains déclarés. À cette déduction peuvent s’ajouter des déductions
supplémentaires pour les entrepreneurs débutants et les chômeurs créant leur activité.
16. Quelques exemples récents : « Hou die wet zo, er is al flexwerk genoeg » (« Laissez la loi comme ça, il y a déjà assez de travail flexible »), article collectif signé par W. Bouwens, M. Keune,
A. Jacobs et 11 autres collègues, NRC, 14 maart 2016 ; F. Dekker, « Flexibilisering : geen tijd te verliezen » (« Flexibilisation : pas de temps à perdre »), Socialisme en Democratie, n° 4,
Augustus 2016 ; CPB (2015:46) ; M. Schinkel, « Victoriaanse tijden op de arbeidsmarkt » (« Temps victoriens sur le marché du travail »), NRC, 9 juli 2016.
17. « De onderkant van de arbeidsmarkt in 2025 ».
18. Votée le 14 juin 2014, applicable au 1er juillet 2015.
19. Nous laissons en particulier de côté les orientations qui engagent les partenaires sociaux et le gouvernement dans le pilotage et le financement de structures régionales de stimulation de
l’insertion ou la réinsertion professionnelle.
20. « Uitzondering in flexwet voor seizoenskrachten » (« Exception dans la loi sur le travail flexible pour les saisonniers »), NRC, 25 maart 2016.
21. www.pellican.nl, 8 décembre 2014, consulté le 20 mars 2016.
22. Y. Witterholt, « Zzp’er moet aan de bak », Opzij, 17 mei 2016.
23. Comme les indépendants ne peuvent participer à aucun fonds de pension ou assurance retraite de branche, certains assureurs ont mis au point des produits d’épargne spécifiques. Les mieux
couverts sont les indépendants actifs dans le secteur des nouvelles technologies. Mais ceux qui y parviennent étaient exposés à perdre cette épargne en cas de chômage, puisqu’ils ne peuvent
percevoir le revenu minimum qu’une fois cette épargne dépensée. Cette dernière règle a été récemment abrogée.
24. Association prodiguant conseil aux organisations patronales et aux entreprises dans la négociation collective et intervenant dans plus de la moitié des négociations collectives : www.awvn.nl,
consulté le 12 juillet 2016.
25. J. Leupen, R. Cats, « FNV keert zich tegen openstellen sociale voorzieningen voor zzp’ers, » et « De vernieting van ons sociale stelsel dreigt », Financieel dagblad, 9 juni 2015.
26. Il faut observer tout d’abord qu’aux Pays-Bas, l’intervention du juge dans les licenciements individuels la conduit souvent à confondre la problématique de l’indemnité de licenciement et celle
des sanctions pour procédures abusives.
27. À ce jour, les aménagements conventionnels des 14 mois d’indemnisation complémentaire de chômage n’ont pas encore vu le jour, butant sur des obstacles tant juridiques que techniques. Un
des points les plus difficiles tient à la définition de l’organe qui gérera les nouvelles garanties : les bureaux du travail (UWV), les fonds de pension (Herderschee, 2015) ?
28. J. Mat, « Veel ervaring, nooit ziek, geen werk », NRC, 4 juni 2016.
29. « Een fatsoenlijke arbeidsmarkt is wat we allemaal willen », interview par Ria Cats, Financieel Dagblad, 27 juni 2015, site fd.nl, consulté le 6 juillet 2016.
30. C. Houtekamer, « Waar zijn die 200 000 bouwvakkers gebleven? », NRC, 3 juni 2016.
31. M. Beunderman, « Meer banen, maar tegen welke prijs ? » (« Plus d’emploi mais à quel prix ? »), NRC, 27 februari 2016 ; « Lonen lager door flexibele arbeidsmarkt » (« Les salaires plus bas à
cause de la flexibilisation du marché du travail »), NRC, 3 juni 2016.
32. C’est la Banque des Pays-Bas qui a mis en évidence cette évolution, en affinant le calcul de cet indicateur de la part du revenu national revenant aux travailleurs par une évaluation plus précise
des revenus d’activité des indépendants : De Nederlandsche Bank, « Alternatieve arbeidsinkomensquotemomenteel relatief laag », DNBulletin, 28 april 2016.