Le 3 mai est le jour anniversaire de l’élection du Front Populaire. Un mythe de la gauche française qui laisse entendre que ce gouvernement aurait permis d’arracher des acquis historiques. C’est oublier que congés payés et semaine de 40 heures ont été obtenus par des grèves massives et malgré le gouvernement du Front Populaire. Retour sur cette histoire précieuse d’enseignements à l’heure où ce mythe est reconvoqué au service de la promotion de l’Union populaire, une nouvelle gauche de gouvernement allant jusqu’au PS.
Par Joachim Valente
mercredi 4 mai, 2022
Hold-up sur la mémoire des grèves de 36
Pour ce 3 mai, jour anniversaire de la victoire législative de la coalition dite de « Front Populaire » en 1936, tous les dirigeants de la gauche à la sauce Matignon convoquent le souvenir et se réclament du Front Populaire. Ainsi Fabien Roussel sur France Info, rappelait : « cette Chambre élue le 3 mai 1936 et qui a permis de grandes avancées pour le monde du travail […]. On est aujourd’hui à un tournant aussi historique que celui-là, ne le loupons pas ! ».
Parallèle similaire chez Mélenchon, qui confiait dimanche dans la manifestation du 1er mai : « Le 3 mai prochain, à la mémoire du Front populaire, nous aurons signé et nous aurons la nouvelle Union populaire. » Référence partagée encore dans une tribune des organisations de jeunesse de Génération.s et de EELV qui appellent à un « front populaire écologique », dans la même veine qu’un François Ruffin ces dernières années.
Le Front Populaire est un épisode quasi mythologique de la gauche française (et au-delà) qui associe dans l’imaginaire collectif l’accession au pouvoir de Léon Blum à la tête d’une coalition de la SFIO (Parti socialiste) du PCF et du Parti radical, avec d’importantes conquêtes ouvrières : les conventions collectives, l’augmentation des salaires, la reconnaissance du droit syndical, la semaine de 40 heures (au lieu de 48 !) et bien sûr les deux semaines de congés payés.
Comme tous les mythes, il contient sa part de construction après coup. C’est le cas notamment de la focale sur sa dimension parlementaire. Car de mai à juillet 1936, lorsque tous ces acquis sont arrachés, c’est avant tout par un formidable mouvement de grève, de deux à trois millions de grévistes, qui occupent leurs usines : le plus important mouvement de grève du pays avant 1968. Depuis, les dirigeants de la gauche de gouvernement ont insisté sur la dimension d’unité par en haut, rappelant essentiellement l’action de Léon Blum et de ses ministres offrant aux ouvriers leurs revendications. Pourtant, ce sont bien ces luttes ouvrières qui ont imposé les acquis de 1936, malgré le rôle contre-révolutionnaire des dirigeants du Front populaire.
On oublie également ce qui est advenu du Front Populaire avec la pause dans les réformes (qui n’a donc pas été inventée par Mitterrand) dès le début de l’année 1937, la dissolution de l’Etoile nord-africaine, organisation ouvrière anti-colonialiste la même année, la chute de Blum au cours de cette année-là et la reprise en main par les radicaux, avec un Daladier, élu par cette fameuse « Chambre de 1936 », et bien décidé à « remettre la France au travail » en revenant sur l’ensemble des acquis ouvriers.
Naissance du Front Populaire
Le Front Populaire est le regroupement de presque 100 organisations politiques, syndicales, associatives. Coalition d’organisations ouvrières (PCF, SFIO, organisations syndicales pour ne mentionner que les plus importantes) et du Parti radical, le parti bourgeois par excellence de la IIIème République, celui qui fait et défait les majorités de gauche comme de droite dans la vie politique de l’époque.
La crise de 1929 atteint la France avec retardement autour de 1931. A la crise économique, se combinent une crise sociale avec l’augmentation du chômage et la hausse des prix ; une crise politique où l’absence de majorité stable paralyse le Parlement, un vaste discrédit frappant un Parti radical mêlé à des scandales financiers. Les ligues royalistes et fascistes, dont certaines paramilitaires comme les Croix de Feu du colonel La Roque, se renforcent et multiplient leur agitation. Le 6 février 1934 plusieurs milliers de fascistes manifestent violemment aux abords de l’Assemblée Nationale.
Un électro-choc pour le mouvement ouvrier, qui réagit par des manifestations et des grèves massives. Le 12 février, ce sont plus de 4 millions de grévistes qui répondent à l’appel de la CGT à la grève générale. Si le PCF et la CGTU appellent à une manifestation différente de celle de la SFIO et de la CGT, à Paris, les cortèges se rejoignent aux cris de « Unité ! Unité ! ». La pression ouvrière à la base balaye la ligne « classe contre classe » dictée par l’Internationale Communiste stalinisée et pratiquée jusqu’ici par le PCF, qui voyait dans la social-démocratie « l’aile gauche du fascisme ». Cette orientation conduisant à traiter les réformistes de sociaux-fascistes empêchait toute unité d’action ouvrière. La première étape d’un rapprochement entre les socialistes et les communistes est donc une aspiration unitaire de la classe ouvrière, par en bas, à barrer la route au fascisme, qui permet alors un rapprochement entre le parti réformiste et le parti communiste.
Mais la raison de l’alliance d’organisations ouvrières (et notamment du Parti Communiste) avec un parti de la bourgeoisie est à chercher du côté des intérêts géopolitiques de l’URSS. Craignant d’être isolé face à l’Allemagne nazie, Staline établit en mai 1935, un pacte d’assistance mutuelle avec l’impérialisme « démocratique » français, connu sous le nom de pacte Laval-Staline. Changement total de ton au PCF : plus question de faire la révolution en France. La stabilité politique et militaire française est assimilée à la défense de l’URSS. Les communistes acceptent désormais le principe de défense nationale, abandonnent l’agitation anti-coloniale, mettent au placard la lutte pour le droit à l’avortement et mettent en avant la « défense de la famille » (il faut des enfants pour défendre la patrie) et reprennent à leur compte les références de la République bourgeoise, vomies la veille, comme le drapeau tricolore, désormais exhibé à côté du drapeau rouge.
Après avoir empêché l’unité d’action avec les socialistes face au fascisme en Allemagne, la bureaucratie stalinienne impose désormais aux partis communistes de se lier avec des organisations bourgeoises, comme le Parti radical, qui dirige alors le gouvernement ! Un parti en perte de vitesse, discrédité, dont l’image sera sauvée par la participation au Front Populaire.
Les socialistes, pourtant modérés, se trouvent eux-mêmes surpris d’être débordés sur leur droite par le PCF. Le programme de Front Populaire publié début 1936 se trouve être le résultat d’accords au plus petit dénominateur commun, qui n’a rien de socialiste mais tient tout du radicalisme. Les congés payés ne figurent pas dans le programme, pas plus que la semaine de 40 heures, le Front Populaire se contentant d’évoquer une réduction du temps de travail non chiffrée, et, à l’exception des usines d’armements, on ne trouve pas de nationalisations, même minimales. Malgré tout, derrière les mots d’ordre flous de « pain, paix, liberté », la coalition de Front Populaire sort vainqueur des urnes le 3 mai, les socialistes en tête.
Les grèves se généralisent
Au mois de mai 1936, alors que Blum laisse traîner un mois avant de constituer un gouvernement, comme le veut la coutume républicaine qu’il respecte religieusement, plusieurs grèves très suivies éclatent. Au Havre le 11 mai chez Bréguet, puis à Toulouse chez Latécoère le 13, on se mobilise pour la réintégration des grévistes du 1er mai licenciés par le patron. Fait notable, les locaux sont occupés. C’est une première vague de grèves qui contamine les entreprises parisiennes de la métallurgie, dans l’automobile, dans l’aéronautique (Hotchkiss, Nieuport, Renault, Sautter-Harlé, Fiat, Citroën etc.). Les grèves sont plus suivies, prennent une tournure revendicative offensive pour des augmentations salariales.
Malgré des interruptions, la vague de grève se poursuit et s’étend aux autres villes du pays. Durant le mois de juin, ce sont entre deux et trois millions de grévistes qui vont occuper leurs usines. Léon Blum qui reçoit son investiture le 6 juin a déjà commencé à rencontrer le patronat, conscient de la gravité de la situation. Il ne s’agit évidemment pas pour lui d’augmenter le rapport de force et de creuser la brèche ouverte par les grèves. Il a depuis les années 1920 théorisé la différence entre la « conquête du pouvoir », c’est-à-dire la révolution sociale qu’il ne juge pas d’actualité, et « l’exercice du pouvoir » : « Nous avons donc à gérer honnêtement, loyalement, la société [capitaliste] remise entre nos mains, c’est notre devoir de détenteurs du pouvoir. », comme il l’écrira après la guerre [2].
Le 8 juin, les Accords de Matignon sont signés entre l’État, le patronat et la CGT. Ils permettent la reconnaissance du droit syndical, instaurent le principe des conventions collectives et promettent une revalorisation des salaires entre 7 et 15 %. Mais ce n’est pas suffisant pour arrêter les grèves qui s’étendent encore à d’autres secteurs, dans les grands magasins, dans le bâtiment, chez les garçons de café.
Il faut l’intervention conjuguée des directions de la CGT, de la SFIO et du PCF pour mettre fin à certaines grèves. Le PCF qui se présente désormais comme un parti de l’ordre, appelle les travailleurs à abandonner leur lutte et le 11 juin Thorez prononce un discours sous forme de sermon. Un discours devenu célèbre car repris par tous les politiciens bourgeois jusqu’à nos jours quand ils veulent arrêter une grève : « Alors il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées, mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles des revendications. Tout n’est pas possible maintenant. » Une référence à un article de Marceau Pivert, dirigeant de la Gauche Révolutionnaire au sein de la SFIO qui titrait fin mai 1936 : « Tout est possible ! ». Mais le mouvement, têtu, ne veut pas s’arrêter.
Dans un article intitulé « La révolution française a commencé », Léon Trotski écrit en ce début du mois de juin : « Le déclenchement de la grève est provoqué, dit-on, par les “espoirs” que suscite le gouvernement de Front populaire. […] Ce qui s’exprime avant tout dans la grève, c’est la méfiance ou tout au moins le manque de confiance des ouvriers, sinon dans la bonne volonté du gouvernement, du moins dans sa capacité à briser les obstacles et à venir à bout des tâches qui l’attendent. Les prolétaires veulent “aider” le gouvernement, mais à leur façon, à la façon prolétarienne. »
Les lois sociales portant la semaine à 40 heures de travail et accordant les deux semaines de congés payés sont votées dans la foulée, validées y compris par le Sénat de droite tant le patronat craint de perdre la main sur la situation et sur ses usines. Sous Vichy, au procès de Riom en 1942, Léon Blum se défendra d’avoir fragilisé l’économie française et rappelle à quel point il s’agissait d’une demande pressante de la bourgeoisie qu’il a su mettre en œuvre :
« Rappelez-vous que les 4 et 5 juin, il y avait un million de grévistes. Rappelez-vous que toutes les usines de la région parisienne étaient occupées. Rappelez-vous que le mouvement gagnait d’heure en heure et de proche en proche dans la France entière. La panique, la terreur étaient générales. Je n’étais pas sans rapport moi-même avec les représentants du grand patronat et je me souviens de ce qu’était leur état d’esprit à cette époque. Je me souviens de ce qu’on me disait ou me faisait dire par des amis communs. “Alors quoi ? c’est la révolution ? Alors quoi ? Qu’est-ce qu’on va nous prendre ? Qu’est-ce qu’on va nous laisser ?…” Les ouvriers occupaient les usines. […] C’était sur la foi de ma parole, sur la foi des engagements pris vis-à-vis [des ouvriers] et du Parlement républicain que, petit à petit le mouvement s’est épuisé. Il n’y a aucun doute qu’à partir de Matignon la décrudescence ait commencé. Il y avait un million de grévistes à ce moment-là, et trois semaines après 100 000. À la fin de juillet on pouvait considérer que le mouvement était terminé […] Voilà Messieurs, dans quelles conditions ont été votées les lois sociales […] Vous imaginez que la loi des quarante heures, du moment où elle a été votée, a réduit la durée du temps de travail effectif en France à cette époque ? Vous imaginez-vous qu’on travaillait quarante heures en juin 1936 ? C’était une exception, un privilège dans un établissement français. […] En 1938, c’est autre chose. […] J’ai donc obtenu l’accord qui porte à quarante-cinq heures, par addition de cinq heures supplémentaires, le temps normal de la durée de travail dans tous les établissements travaillant directement ou indirectement pour la Défense nationale. »
Front Populaire, fin et suite ?
A l’issue du mouvement de grève au cours du mois de juillet, les organisations ouvrières ont vu leurs effectifs augmenter très fortement. La CGT, réunifiée en 1936, compte désormais autour de 5 millions de syndiqués. Malgré les appels à la discipline et au calme, et pour la première fois, la pause des congés estivaux, les grèves se poursuivent au retour des vacances. En effet, les capitalistes ne donnent pas leur argent et même des miettes de leur pouvoir parce qu’un accord ou une loi les y oblige et font tout ce qui est possible pour les contourner. Une fois les grèves retombées, la bourgeoisie doit briser cette résistance ouvrière qui lui a tenu tête. Mais cette fois, le gouvernement se fait plus pressant contre les grèves spontanées, et en octobre 1936, les gendarmes expulsent les ouvriers qui occupent les Chocolateries Gourmet à Paris. Et Blum au mois de février 1937 de déclarer le « temps des pauses » dans les réformes. Le 16 mars 1937, la police du gouvernement de Front Populaire réprime une manifestation anti-fasciste à Clichy : 5 morts, des centaines de blessés, dont des militants socialistes !
Tous les compromis et les gages donnés par Blum au patronat et aux grands monopoles ne sont pas suffisants, et face à la fuite de capitaux et à la hausse des prix provoquée par la déflation (le fameux « mur de l’argent » contre lequel tous les gouvernements socialistes se sont fracassés), il démissionne en juin 1937 et laisse la main au radical Camille Chautemps. De retour de manière éphémère à la tête du gouvernement en 1938, il n’y jouera que le prologue de la contre-attaque menée par Daladier, avant Reynaud puis Pétain. Il y aurait encore beaucoup à dire sur le Front Populaire, sur sa politique colonialiste « de gauche », réprimant les mouvements d’indépendance et les militants de leurs propres partis dans les colonies, utilisant la loi de dissolution des ligues fascistes contre l’Etoile Nord-Africaine début 1937 (cette même loi qui sert aujourd’hui à dissoudre le Collectif Palestine Vaincra), sur son laisser-faire face à l’impérialisme britannique en laissant les armées fascistes massacrer les ouvriers espagnols qui luttaient pour la défense d’un autre Frente Popular, tout aussi docile d’ailleurs avec la bourgeoisie de l’autre côté des Pyrénées.
Le Front Populaire, une “victoire défaite”
Ainsi, ce que l’on retient dans le Front Populaire c’est ce que les grèves ont arraché. Et elles auraient pu arracher tellement plus si elles avaient été coordonnées, avec une réelle direction dont l’effort tout entier aurait été dirigé contre le pouvoir des capitalistes pour le pouvoir ouvrier.
Face à une une situation ouvertement révolutionnaire où la classe ouvrière a imposé la grève générale à ses organisations, la direction du Front populaire n’a en aucun cas cherché à appuyer la dynamique de généralisation de la grève ni à l’encourager. Au contraire, ils ont cherché à y mettre activement fin le plus rapidement possible en menant une campagne ouverte contre les grèves qui ont suivi. Dès lors, le gouvernement du Front populaire, dans l’ombre la bourgeoisie, a coupé la dynamique révolutionnaire en votant, en urgence et avec l’aval du patronat, une nouvelle série de lois sur les congés payés et la semaine de 40 heures. En ce sens, la direction du « Front populaire » a joué ouvertement un rôle contre-révolutionnaire.
« De toutes les erreurs commises, la plus néfaste fut de faire croire aux travailleurs que le gouvernement de Front Populaire à direction socialiste et active participation radicale était en quelque sorte leur gouvernement […]. Parce que des leaders prestigieux s’étaient installés dans un certain nombre de bureaux ministériels, l’illusion fut répandue que cet État n’était plus un État de classe, mais un État providentiel. » écrit à ce titre Daniel Guérin dans Front Populaire, révolution manquée [3]. On disait aux foules « attendez, patientez, abstenez-vous de gêner par des réflexes immodérés, le “grand camarade” qui va faire pleuvoir sur vous ses bienfaits ».
Ainsi malgré l’association historique de la gauche, et malgré les conquêtes arrachées par la peur de la bourgeoisie de tout perdre pendant l’occupation des usines, la réalité est que le « Front populaire » reste une « victoire défaite » . Le Front populaire a canalisé et défait le processus révolutionnaire ouvert par la radicalisation prolongée de la classe ouvrière. Une défaite débouchant sur une démoralisation et amenant la classe ouvrière à un état de passivité, avec le retour du patronat en force et la capitulation devant le régime collaborationniste de Vichy, à travers l’Assemblée nationale, à majorité socialiste, qui a approuvé le transfert des pouvoirs au maréchal Pétain et l’avènement de son régime.
La Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale, à la recherche de l’imaginaire du Front populaire : une pâle copie
Le Front Populaire a été une alliance entre la classe ouvrière et la bourgeoise impérialiste. Si Mélenchon a abandonné toute référence à la classe ouvrière, pour centrer son discours sur « le peuple », il a pourtant en tête le cadre stratégique de telles alliances. En 2019, dans une interview à Libération il interpellait déjà le Parti Socialiste à rompre avec la social-démocratie allemande pour construire ensemble un « Front populaire nouvelle manière ». Dans le cadre de la dynamique d’alliance actuelle, même le Parti Socialiste est perçu comme un allié dont il s’agit de profiter des implantations locales dans le cadre d’une logique strictement institutionnelle assumée, incarnée par la promesse d’économie « des grèves et des kilomètres de manifestation ».
Tous les dirigeants de la gauche qui lorgnent sur Matignon connaissent pourtant l’histoire du Front Populaire sur le bout des doigts. Mais leur stratégie d’« exercice du pouvoir » dans la lignée de Léon Blum impose d’effacer le rôle central des mobilisations sociales pour n’en faire qu’un soutien éventuel à l’action gouvernementale. Et de ne souffler mot bien entendu de la répression et des capitulations. De ce point de vue, en appeler à la mythologie du Front Populaire convoquée ces derniers jours s’inscrit pleinement dans une relecture de l’histoire de juin 1936 et des grandes conquêtes ouvrières qui cherchent à désarmer les travailleurs et les classes populaires face à la période à venir.
L’histoire mérite d’autant plus d’être rappelée que la SFIO de 1936 se proposait en interne de « détruire l’armature de classe de l’État bourgeois, d’instaurer une véritable démocratie ouvrière et paysanne, […] d’instituer la propriété collective des instruments capitalistes de production et d’échange et aller ainsi vers la société sans classe, la société socialiste libératrice de l’humanité » et disposait d’implantations solides dans le mouvement ouvrier et la classe ouvrière, mises au service de son projet de conciliation de classe. Or, ce de ce point de vue, la France Insoumise se contente de rêver de Mélenchon en premier ministre de Macron et aspire à réguler l’économie de marché aux côtés de forces politiques ayant activement participé aux politiques les plus libérales, qu’il s’agisse du PS ou de EELV et sans construire une force politique militante.
Tous les partis qui composent la NUPES sont tournés vers la politique électorale et institutionnelle dans les conseils des municipalités, des départements, des régions et à l’assemblée. Même les restes d’ancrage ouvrier du PCF ne change pas sa nature d’un parti de gestion municipale et locale. Comment, si l’on s’appuie sur les leçons du Front Populaire, ces partis pourront-ils faire face au « mur de l’argent » qui a plié le Cartel des Gauches en 1924, le Front Populaire en 1937, le gouvernement du programme commun dès 1983 et tous les gouvernements de gauche depuis, quand ils n’ont pas directement gouverné en son nom ?
A l’inverse de ce qui est vendu actuellement, le Front Populaire et les grèves de 1936 sont une leçon précieuse de la nécessité de l’indépendance de classe, de prendre acte que nous ne partageons rien en commun avec l’appareil d’État et avec la bourgeoisie impérialiste. Une leçon dévoyée par tous les politiciens de gauche qui vendent une nouvelle mouture de la gauche plurielle comme pouvant obtenir, par une cohabitation plus qu’hypothétique, ce qu’ont obtenu les grèves de 1936. La stratégie de la France Insoumise qui se base sur un compromis de classe de type keynésien porte déjà en elle toutes les tendances à l’adaptation à l’ordre bourgeois et à des glissements à droite plus prononcés au motif de réalisme et de capacité de gouvernance comme en témoigne les discussions avec le PS à l’heure actuelle. Les condamnations des « violences » des manifestants ces derniers jours illustrent dans le même sens une loyauté aux règles du jeu bourgeois, que les capitalistes ne seraient pas prêts à observer face à un gouvernement Mélenchon.
Notes
1. Cité dans Jacques Kergoat, La France du Front populaire, Paris, La Découverte, 1986, p.63.
2. “Etat, exercice et conquête du pouvoir” dans Léon Blum, Naissance de la IV°République. La vie et la doctrine du Parti socialiste, 1945-1947, Paris, Albin Michel 1958, pp. 428-436.
3. Daniel Guérin, Front Populaire, révolution manquée, Marseille, Agone, 2013 (1963), pp.185-186.
Pour aller plus loin sur le Front Populaire :
Léon Trotsky, Où va la France, un recueil d’articles qui suit au jour le jour la situation en France de 1934 à 1938 et analyse les voies pour la lutte contre le fascisme, contre l’autoritarisme du gouvernement et la nécessité du regroupement des forces ouvrières pour une lutte révolutionnaire décidée. Disponible en ligne sur marxist.org
Daniel Guérin, Front Populaire, révolution manquée, récit autobiographique d’un dirigeant de la Gauche Révolutionnaire au sein de la SFIO, pour se plonger dans l’expérience du Front Populaire mais du côté des ouvriers, des syndicalistes révolutionnaires, des militants anti-colonialistes, plutôt que des cabinets ministériels.
Les formations de Révolution Permanente :
Réforme ou Révolution, retour sur les expériences du Front Populaire en France en 1936 et de l’Unité Populaire au Chili en 1973
Juin 36, tout était possible, quelle a été la politique des courants se revendiquant de la révolution socialiste pendant le Front Populaire ?
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