Par Elsa Gautier
16 Avril 2021
Deux cents personnes se sont réunies jeudi 15 avril autour du navigateur Eugène Riguidel, 80 ans, en grève de la faim depuis lundi pour protester contre la construction d’une antenne 5G à Landaul, dans le Morbihan. En Bretagne, les mobilisations se multiplient à mesure que se déploient les infrastructures de la téléphonie mobile « cinquième génération ».
Au bord de la D19 qui relie Landaul à Crac’h, fermée ce jeudi 15 avril à la circulation, une petite caravane blanche bardée de pancartes sert de point de ralliement. Au quatrième jour de sa grève de la faim, Eugène Riguidel, 80 ans, casquette de marin vissée sur la tête, reçoit là sans façon les encouragements. « Franchement, pour le moment ça se passe bien. Je bois de l’eau et c’est tout. Une tisane ou deux, parce qu’il faut que je boive chaud de temps en temps paraît-il », souligne celui qui réside à Landaul, une commune située à trente minutes de Vannes.
Le navigateur, né en 1940, est tout de même suivi par « un toubib », récemment venu prendre sa tension. Autour de lui flottent pêle-mêle des « Gwenn ha du » (le drapeau breton) de tous les formats, de nombreux drapeaux Europe Écologie-Les Verts (EELV), de l’Union démocratique bretonne (UDB, gauche régionaliste, alliée d’EELV pour les régionales), ainsi que des étendards insoumis et quelques sabliers noirs d’Extinction Rebellion.
Vainqueur de la transat 1979, ce skipper libertaire, dans la lignée de Bernard Moitessier, a abandonné dans les années 1980 la compétition nautique, lassé de la course au sponsoring qu’impose le sport de haut niveau. Écologiste revendiqué, militant antinucléaire actif, Eugène Riguidel est un ami et un admirateur de José Bové, avec qui il navigue à l’occasion.
Comme le faucheur d’OGM, le marin a déjà mis en pratique la désobéissance civile. En 2004, il a ainsi passé une nuit en garde à vue après être entré avec son voilier de 5,5 mètres, « La Rieuse », dans la zone militaire de Cherbourg pour s’opposer à l’importation de plutonium vers l’usine de La Hague. À 80 ans, il continue à défendre ses convictions avec ardeur, apportant son soutien à Sea Shepherd ou s’engageant plus récemment dans la défense de l’île Berder, un magnifique îlot du golfe du Morbihan menacé par l’installation d’un hôtel de luxe.
L’antenne du « trou du diable »
En janvier 2020, Eugène Riguidel et son épouse Brigitte ont appris par hasard qu’une antenne-relais de 36 mètres de haut allait être installée par l’opérateur Orange à proximité immédiate de chez eux, au lieu-dit du « trou du diable ».
« On s’est tout de suite mobilisés et on a créé un collectif », raconte Brigitte, très impliquée dans la lutte contre le projet. Après l’échec d’un recours gracieux auprès de la mairie, ils ont renoncé à porter plainte. « Il y a le tribunal administratif, mais les avocats coûtent cher, explique Eugène Riguidel. On n’a pas pu y aller, alors que leur dossier est pourri ! »
« Il faut qu’il y ait partout des points de résistance ! »
La nouvelle maire élue à Landaul en juin 2020, Dominique Ollivier Frankel, sensible aux arguments du collectif, a sollicité l’opérateur Orange pour trouver un lieu d’implantation plus consensuel. Sans succès. Aujourd’hui, le début des travaux est imminent. En désespoir de cause, Eugène Riguidel a donc commencé une grève de la faim le 12 avril, résolu à ne pas lâcher tant qu’il n’aura pas reçu un courrier d’Orange « déclarant qu’ils renoncent à installer l’antenne à Landaul au lieu-dit du “trou du diable” ».
Le marin ne défend pas seulement son pré carré. En 2020, il a manifesté aux côtés des opposants à l’implantation d’une antenne-relais similaire à proximité du patrimoine exceptionnel du bourg de Locronan (Finistère). Pour Eugène Riguidel, l’enjeu est paysager mais aussi sanitaire. « Il faut que les gens prennent conscience que c’est leur santé et celle de leurs enfants. Il faut qu’il y ait partout des points de résistance ! »
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) doit présenter mardi 20 avril son expertise sur l’exposition de la population aux champs électromagnétiques de la 5G.
« Faut pas se laisser faire, ni par Orange, ni par Macron, ni par personne ! »
Nombreux sont les présents qui ont l’impression que la 5G est un choix technologique imposé, à l’utilité sociale contestable. Au micro, la maire de Landaul, Dominique Ollivier Frankel, qui se défend d’être « contre le progrès », suscite des remous dans l’assemblée. « Ça dépend quel progrès… », commente quelqu’un. « La 4G Orange marche très bien ici, affirme Brigitte Riguidel. On n’est pas du tout dans une zone blanche, et d’ailleurs, il faut des zones blanches en France ! »
Devant la caravane, plusieurs personnes venues de Carnac, Pluvigner et Nostang prennent à leur tour le micro pour témoigner des luttes en cours dans le Morbihan. « Faut pas se laisser faire, ni par Orange, ni par Macron, ni par personne ! Chaque être humain a une force. Il faut appliquer sa force pour vivre ses convictions », professe Eugène Riguidel.
Des participants lui ont d’ailleurs proposé de se joindre à sa grève de la faim. « Pour le moment je ne veux pas engager la santé de qui que ce soit, à part moi », a décliné le navigateur, qui poursuit pour l’instant son jeûne en solitaire.