Scénario noir pour Macron ce jeudi : non seulement la mobilisation reste massive, battant de nouveaux records, mais elle se radicalise avec des tendances au débordement partout et une entrée en scène de la jeunesse. Il est possible de gagner, mais il va falloir se coordonner à la base pour construire une stratégie alternative à l’intersyndicale et répondre aux problèmes brûlants du mouvement.
Par Paul Morao
Mar 24, 2023
Si l’intervention de Macron hier à 13h était un incroyable exercice de déni de la réalité, la journée d’hier aura (peut-être) ramené sur terre une partie du gouvernement. Celui-ci espérait que la radicalisation ne concernait que des franges minoritaires du mouvement, assimilées à des « factieux », et que le passage de la réforme par 49-3 finirait par démoraliser les millions de travailleurs en grève et dans la rue depuis le 19 janvier. Le tableau à l’issue de la journée est l’exact inverse.
3,5 millions de manifestants dans le pays d’après la CGT, autant qu’au dernier pic du 7 mars, des manifestations records dans de nombreuses villes, de Paris (800.000) à Bordeaux (110.000) en passant par Toulon (10.000), Bayonne (24.000) ou Bourgoin-Jallieu (8.000) : la mobilisation reste massive, et grossit même dans de nombreuses villes. Surtout, partout les cortèges ont été marqués par des tendances au débordement avec des sorties des parcours intersyndicaux aboutissant à des blocages d’autoroute ou des manifestations sauvage, dans des villes aussi différentes que Chambéry, Metz, Lyon, Le Havre ou Guéret.
Élément central de cette dynamique : le renforcement qualitatif de la présence de la jeunesse. Alors que la grève reconductible tient dans différents secteurs stratégiques – de la pétrochimie à l’énergie en passant par la SNCF et les éboueurs – et que la mobilisation a connu un rebond à la RATP, les AGs de facs se massifient comme les cortèges de jeunesse. A Toulouse ce mercredi, ils étaient plus d’un millier en inter-facs, de même qu’à l’AG de Tolbiac ou à celle de l’université Paul Valéry ce jeudi. Partout de nouveaux lycées et établissements se mobilisent, parfois de façon inédite. Une tendance à la massification qui s’est traduite dans les cortèges de jeunesse partout en France.
Un scénario noir pour le gouvernement est donc en train de se réaliser : loin de se développer à l’extérieur du mouvement de masse, comme voudraient le faire croire certains analystes de façon intéressée, la radicalité et la spontanéité se développent au cœur de la mobilisation, chez des millions de travailleurs et de jeunes, sur la base de leur expérience avec la stratégie de l’intersyndicale et en réaction à un pouvoir autoritaire, dont le 49-3 est apparu comme la provocation de trop. La grève sauvage de Châtillon, l’arrêt de la raffinerie de Normandie ou la multiplication des manifestations spontanées au lendemain de cette offensive témoignaient déjà de ces changements subjectifs profonds. La journée d’aujourd’hui montrent que de telles tendances existent à une échelle large, alors que 79% des ouvriers et 62% de la population considèrent qu’il faut durcir le mouvement pour gagner.
Dans ce contexte, l’intersyndicale maintient une stratégie institutionnelle totalement impuissante pour répondre aux enjeux de la situation et gagner. Sa volonté dans son dernier communiqué de s’« adresser » au Conseil Constitutionnel ou de proposer une issue de sortie par un « référendum d’initiative partagée » est une impasse totale pour durcir le rapport de forces, et apparaît toujours plus en décalage profond avec l’état d’esprit de la rue et des secteurs en grève. Idem pour l’appel à une simple journée interprofessionnelle supplémentaire le 28 mars, sans mention à la généralisation de la grève, à la répression ou aux réquisitions des grévistes de la pétrochimie en cours à Fos-sur-Mer et à Gonfreville-l’Orcher.
Plus que jamais il est possible de gagner face à un exécutif affaibli, mais pour cela, il faut une stratégie radicalement différente, à même de répondre aux tâches à l’ordre du jour. Or, s’il faut continuer d’exiger de l’intersyndicale un changement de braquet, il n’est pas possible d’attendre, et il faut prendre à bras le corps l’ensemble des défis de la situation. D’abord, celui de soutenir les secteurs en grève reconductible et d’élargir la grève. Une des forces du mouvement c’est qu’il se développe dans le cadre de puissantes grèves reconductibles, qui occasionnent déjà des pénuries dans des stations-essence et aéroports et perturbent l’activité économique. Il faut les poursuivre et les amplifier, en entraînant l’ensemble des secteurs du monde du travail dans la grève reconductible, et en massifiant la mobilisation dans la jeunesse pour les soutenir. Cela implique de commencer enfin à discuter d’un cahier de revendicatif à la hauteur de notre colère.
Dans le même temps, face à la politique ultra-répressive du gouvernement, il y a urgence à organiser la solidarité. Contre les réquisitions, il faut être massifs aux côtés des raffineurs, éboueurs, énergéticiens, en rejoignant par exemple les piquets des raffineries Normandie ou Fos-sur-Mer, ou encore les blocages des éboueurs parisiens. Face à la répression policière, il faut assurer la solidarité dans les cortèges et devant les commissariats, pour ne laisser aucun manifestant, jeune ou travailleur, être intimidé par les violences déchaînées des derniers jours.
Toutes ces tâches impliquent de s’organiser à la base, entre travailleurs, syndiqués ou non syndiqués, de différents secteurs, jeunes. Et c’est la principale faiblesse actuelle : les cadres pour s’organiser en dehors des AGs de facs et d’entreprises sont encore trop limités. Pour affronter l’ensemble des défis posés, il va être décisif de résoudre cette question. C’est ce sur quoi ont insisté les nombreux travailleurs réunis dans le Réseau pour la grève générale ce mardi soir. Dans un appel publié hier, ils appellent à la mise en place de comités d’action pour la grève générale partout, pour réunir toutes celles et ceux qui veulent construire la grève générale et vaincre Macron.
Une perspective centrale, de laquelle dépend la possibilité de gagner et de construire une autre stratégie pour gagner. Il faut en faire une priorité du mouvement !
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